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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/144

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URSULE MIROUET.

— En voilà un de magistrat ! s’écria le maître de poste.

Assise sur une petite causeuse, à demi évanouie, la tête renversée, ses nattes défaites, Ursule laissait échapper un sanglot de temps en temps. Ses yeux étaient troubles, elle avait les paupières enflées, enfin elle se trouvait en proie à une prostration morale et physique qui eût attendri les êtres les plus féroces, excepté des héritiers.

— Ah ! monsieur Bongrand, après ma fête la mort et le deuil, dit-elle avec cette poésie naturelle aux belles âmes. Vous savez, vous, ce qu’il était : en vingt ans, pas une parole d’impatience avec moi ! J’ai cru qu’il vivrait cent ans ! Il a été ma mère, cria-t-elle, et une bonne mère.

Ce peu d’idées exprimées attira deux torrents de larmes entrecoupées de sanglots, puis elle retomba comme une masse.

— Mon enfant, reprit le juge de paix en entendant les héritiers dans l’escalier, vous avez toute la vie pour le pleurer, et vous n’avez qu’un instant pour vos affaires : réunissez dans votre chambre tout ce qui dans la maison est à vous. Les héritiers me forcent à mettre les scellés…

— Ah ! ses héritiers peuvent bien tout prendre, s’écria Ursule en se dressant dans un accès d’indignation sauvage. J’ai là tout ce qu’il y a de précieux, dit-elle en se frappant la poitrine.

— Et quoi ? demanda le maître de poste qui de même que Massin montra sa terrible face.

— Le souvenir de ses vertus, de sa vie, de toutes ses paroles, une image de son âme céleste, dit-elle les yeux et le visage étincelants en levant une main par un superbe mouvement.

— Et vous y avez aussi une clef ! s’écria Massin en se coulant comme un chat et allant saisir une clef qui tomba chassée des plis du corsage par le mouvement d’Ursule.

— C’est, dit-elle en rougissant, la clef de son cabinet, il m’y envoyait au moment d’expirer.

Après avoir échangé d’affreux sourires, les deux héritiers regardèrent le juge de paix en exprimant un flétrissant soupçon. Ursule, qui surprit et devina ce regard calculé chez le maître de poste, involontaire chez Massin, se dressa sur ses pieds, devint pâle comme si son sang la quittait ; ses yeux lancèrent cette foudre qui peut-être ne jaillit qu’aux dépens de la vie, et, d’une voix étranglée : — Ah ! monsieur Bongrand, dit-elle, tout ce qui est dans