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URSULE MIROUET.

— Oh ! fit Goupil, vous devez savoir qu’elle ne manque pas d’amoureux.

Le curé s’était hâté de saluer, et se dirigeait à pas précipités vers la rue des Bourgeois.

— Eh ! bien, dit le premier clerc à Minoret, ça chauffe ! Elle est déjà pâle comme une morte ; mais avant quinze jours elle aura quitté la ville. Vous verrez.

— Il vaut mieux vous avoir pour ami que pour ennemi, s’écria Minoret effrayé de l’atroce sourire qui donnait au visage de Goupil l’expression diabolique prêtée par Eugène Delacroix au Méphistophélès de Goethe.

— Je le crois bien, répondit Goupil. Si elle ne m’épouse pas, je la ferai crever de chagrin.

— Fais-le, petit, et je te donne les fonds pour être notaire à Paris. Tu pourras alors épouser une femme riche…

— Pauvre fille ! Que vous a-t-elle donc fait ? demanda le clerc surpris.

— Elle m’embête ! dit grossièrement Minoret.

— Attendez à lundi, et vous verrez alors comment je la scierai, reprit Goupil en étudiant la physionomie de l’ancien maître de poste.

Le lendemain la vieille Bougival alla chez Savinien et dit en lui tendant une lettre : — Je ne sais pas ce que vous écrit la chère enfant ; mais elle est ce matin comme une morte.

Qui par cette lettre n’imaginerait pas les souffrances qui avaient assailli Ursule pendant la nuit ?

À MONSIEUR DE PORTENDUÈRE.

« Mon cher Savinien, votre mère veut vous marier à mademoiselle du Rouvre, m’a-t-on dit, et peut-être a-t-elle raison. Vous vous trouvez entre une vie presque misérable et une vie opulente, entre la fiancée de votre cœur et une femme selon le monde, entre obéir à votre mère et à votre choix, car je crois encore que vous m’avez choisie. Savinien, si vous avez une détermination à prendre, je veux qu’elle soit prise en toute liberté : je vous rends la parole que vous vous étiez donnée à vous-même et non à moi dans un moment qui ne s’effacera jamais de ma mémoire, et qui fut, comme tous les jours qui se sont succédé de-