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URSULE MIROUET.

— Je viens d’entrevoir Ursule… reprit le clerc.

— Ursule ? dit le gentilhomme en regardant Goupil.

— Mademoiselle Mirouët, reprit Goupil que l’accent de Savinien rendit respectueux, et je voudrais racheter de tout mon sang ce qui a été fait. Je me repens… Quand vous me tueriez en duel ou autrement, à quoi vous servirait mon sang ? Le boiriez-vous ? il vous empoisonnerait en ce moment.

La froide raison de cet homme et la curiosité domptèrent les bouillonnements du sang de Savinien ; il le regardait fixement d’un air qui fit baisser les yeux à ce bossu manqué.

— Qui donc t’a mis en œuvre ? dit le jeune homme.

— Jurez-vous ?

— Tu veux qu’il ne te soit rien fait ?

— Je veux que vous et mademoiselle Mirouët vous me pardonniez.

— Elle te pardonnera ; mais moi, jamais !

— Enfin vous oublierez ?

Quelle terrible puissance a le raisonnement appuyé sur l’intérêt ? Deux hommes, dont l’un voulait déchirer l’autre, étaient là dans une petite cour, à deux doigts l’un de l’autre, obligés de se parler, réunis par un même sentiment !

— Je te pardonnerai, mais je n’oublierai pas.

— Rien de fait, dit froidement Goupil.

Savinien perdit patience. Il appliqua sur cette face un soufflet qui retentit dans la cour, qui faillit renverser Goupil, et après lequel il chancela lui-même.

— Je n’ai que ce que je mérite, dit Goupil ; j’ai fait une bêtise. Je vous croyais plus noble que vous ne l’êtes. Vous avez abusé d’un avantage que je vous donnais… Vous êtes en ma puissance, maintenant, dit-il en lançant un regard haineux à Savinien.

— Vous êtes un assassin, dit le gentilhomme.

— Pas plus que le couteau n’est le meurtrier, répliqua Goupil.

— Je vous demande pardon, fit Savinien.

— Vous êtes-vous assez vengé ? dit Goupil avec une féroce ironie. En resterez-vous là ?

— Pardon et oubli réciproque, reprit Savinien.

— Votre main ? dit le clerc en tendant la sienne au gentilhomme.

— La voici, répondit Savinien en dévorant cette honte par amour pour Ursule. Mais, parlez : qui vous poussait ?