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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/179

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— Il n’y a rien.

— Il n’y a rien ? Et moi je te dis que tu mens, et nous allons voir !

— Veux-tu me laisser tranquille ?

— Je ferai jaser ce venin à deux pattes de Goupil, et tu n’en seras pas le bon marchand !

— Comme tu voudras.

— Je sais bien que cela sera comme je voudrai ! Et ce que je veux, surtout, c’est qu’on ne touche pas à Désiré. S’il lui arrivait malheur, vois-tu, je ferais un coup qui m’enverrait sur l’échafaud. Désiré !… Mais… Et tu ne te remues pas plus que ça !

Une querelle ainsi commencée entre Minoret et sa femme ne devait pas se terminer sans de longs déchirements intérieurs. Ainsi, le sot spoliateur apercevait sa lutte avec lui-même et avec Ursule agrandie par sa faute et compliquée d’un nouveau, d’un terrible adversaire. Le lendemain, quand il sortit pour aller trouver Goupil, en pensant l’apaiser à force d’argent, il lut sur les murailles : Minoret est un voleur ! Tous ceux qu’il rencontra le plaignirent en lui demandant à lui-même quel était l’auteur de cette publication anonyme, et chacun lui pardonna les entortillages de ses réponses en songeant à sa nullité. Les sots recueillent plus d’avantages de leur faiblesse que les gens d’esprit n’en obtiennent de leur force. On regarde sans l’aider un grand homme luttant contre le sort, et l’on commandite un épicier qui fera faillite ; car on se croit supérieur en protégeant un imbécile, et l’on est fâché de n’être que l’égal d’un homme de génie. Un homme d’esprit eût été perdu s’il avait balbutié, comme Minoret, d’absurdes réponses d’un air effaré. Zélie et ses domestiques effacèrent l’inscription vengeresse partout où elle se trouvait ; mais elle resta sur la conscience de Minoret. Quoique Goupil eût échangé la veille sa parole avec l’huissier, il se refusa très-impudemment à réaliser son traité.

— Mon cher Lecœur, j’ai pu, voyez-vous, acheter la charge de monsieur Dionis et suis en position de vous faire vendre à d’autres. Rengaînez votre traité, ce n’est que deux carrés de papier timbrés de perdus. Voici soixante-dix centimes.

Lecœur craignait trop Goupil pour se plaindre. Tout Nemours apprit aussitôt que Minoret avait donné sa garantie à Dionis pour faciliter à Goupil l’acquisition de sa charge. Le futur notaire écrivit à Savinien une lettre pour démentir ses aveux relativement à Minoret, en disant au jeune noble que sa nouvelle position, que la