gens doués d’une volonté ferme et qui veulent une place dans le brillant monde de Paris, l’enfant des Minoret se fit une destinée plus belle qu’il ne la rêvait peut-être à son début ; car il se voua tout d’abord à la médecine, une des professions qui demandent du talent et du bonheur, mais encore plus de bonheur que de talent. Appuyé par Dupont de Nemours, lié par un heureux hasard avec l’abbé Morellet que Voltaire appelait Mord-les, protégé par les encyclopédistes, le docteur Minoret s’attacha comme un séide au grand médecin Bordeu, l’ami de Diderot. D’Alembert, Helvétius, le baron d’Holbach, Grimm, devant lesquels il fut petit garçon, finirent sans doute, comme Bordeu, par s’intéresser à Minoret, qui vers 1777 eut une assez belle clientèle de déistes, d’encyclopédistes, sensualistes, matérialistes, comme il vous plaira d’appeler les riches philosophes de ce temps. Quoiqu’il fût très-peu charlatan, il inventa le fameux baume de Lelièvre, tant vanté par le Mercure de France, et dont l’annonce était en permanence à la fin de ce journal, organe hebdomadaire des encyclopédistes. L’apothicaire Lelièvre, homme habile, vit une affaire là où Minoret n’avait vu qu’une préparation à mettre dans le Codex, et partagea loyalement ses bénéfices avec le docteur, élève de Rouelle en chimie, comme il était celui de Bordeu en médecine. On eût été matérialiste à moins. Le docteur épousa par amour, en 1778, temps où régnait la Nouvelle-Héloïse et où l’on se mariait quelquefois par amour, la fille du fameux claveciniste Valentin Mirouët, une célèbre musicienne, faible et délicate, que la Révolution tua. Minoret connaissait intimement Roberspierre, à qui jadis il fit avoir une médaille d’or pour une dissertation sur ce sujet : Quelle est l’origine de l’opinion qui étend sur une même famille une partie de la honte attachée aux peines infamantes que subit un coupable ? Cette opinion est-elle plus nuisible qu’utile ? Et dans le cas où l’on se déciderait pour l’affirmative, quels seraient les moyens de parer aux inconvénients qui en résultent ? L’Académie royale des sciences et des arts de Metz, à laquelle appartenait Minoret, doit avoir cette dissertation en original. Quoique, grâce à cette amitié, la femme du docteur pût ne rien craindre, elle eut si peur d’aller à l’échafaud que cette invincible terreur empira l’anévrisme qu’elle devait à une trop grande sensibilité. Malgré toutes les précautions que prenait un homme idolâtre de sa femme, Ursule rencontra la charrette pleine de condamnés où se trouvait
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