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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

reconnu la possibilité de l’existence d’un monde spirituel, d’un monde des idées. Si les idées sont une création propre à l’homme, si elles subsistent en vivant d’une vie qui leur soit propre, elles doivent avoir des formes insaisissables à nos sens extérieurs, mais perceptibles à nos sens intérieurs quand ils sont dans certaines conditions. Ainsi les idées de votre parrain peuvent vous envelopper, et peut-être les avez-vous revêtues de son apparence. Puis, si Minoret a commis ces actions, elles se résolvent en idées ; car toute action est le résultat de plusieurs idées. Or, si les idées se meuvent dans le monde spirituel, votre esprit a pu les apercevoir en y pénétrant. Ces phénomènes ne sont pas plus étranges que ceux de la mémoire, et ceux de la mémoire sont aussi surprenants et inexplicables que ceux du parfum des plantes, qui sont peut-être les idées de la plante.

— Mon Dieu ! combien vous agrandissez le monde. Mais entendre parler un mort, le voir marchant, agissant, est-ce donc possible ?…

— En Suède, Swedenborg, répondit l’abbé Chaperon, a prouvé jusqu’à l’évidence qu’il communiquait avec les morts. Mais d’ailleurs venez dans la bibliothèque, et vous lirez dans la vie du fameux duc de Montmorency, décapité à Toulouse, et qui certes n’était pas homme à forger des sornettes, une aventure presque semblable à la vôtre, et qui cent ans auparavant était arrivée à Cardan.

Ursule et le curé montèrent au premier étage, et le bonhomme lui chercha une petite édition in-12, imprimée à Paris en 1666, de l’histoire de Henri de Montmorency, écrite par un ecclésiastique contemporain, et qui avait connu le prince.

— Lisez, dit le curé en lui donnant le volume aux pages 175 et 176. Votre parrain a souvent relu ce passage, et, tenez, il s’y trouve encore de son tabac.

— Et il n’est plus, lui ! dit Ursule en prenant le livre pour lire ce passage :

« Le siége de Privas fut remarquable par la perte de quelques personnes de commandement : deux maréchaux de camp y moururent, à savoir, le marquis d’Uxelles, d’une blessure qu’il reçut aux approches, et le marquis de Portes, d’une mousquetade à la tête. Le jour qu’il fut tué il devait être fait maréchal de France. Environ le moment de la mort du marquis, le duc de Montmo-