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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

pria de lui accorder un moment d’audience dans le pavillon chinois en exigeant qu’ils fussent seuls.

— Personne ne peut-il nous écouter ? dit l’abbé Chaperon à Minoret.

— Personne, répondit Minoret.

— Monsieur, mon caractère doit vous être connu, dit le bonhomme en attachant sur la figure de Minoret un regard doux mais attentif, j’ai à vous parler de choses graves, extraordinaires, qui ne concernent que vous, et sur lesquelles vous pouvez compter que je garderai le plus profond secret ; mais il m’est impossible de ne pas vous en instruire. Dans le temps que vivait votre oncle, il y avait là, dit le prêtre en montrant la place du meuble, un petit buffet de Boulle à dessus de marbre (Minoret devint blême), et, sous ce marbre, votre oncle avait mis une lettre pour sa pupille…

Le curé raconta, sans omettre la moindre circonstance, la propre conduite de Minoret à Minoret. L’ancien maître de poste, en entendant le détail des deux allumettes qui s’étaient éteintes sans s’allumer, sentit ses cheveux frétillant dans leur cuir chevelu.

— Qui donc a pu forger de semblables sornettes ? dit-il au curé d’une voix étranglée quand le récit fut terminé.

— Le mort lui-même !

Cette réponse causa un léger frémissement à Minoret, qui voyait aussi le docteur en rêve.

— Dieu, monsieur le curé, est bien bon de faire des miracles pour moi, reprit Minoret à qui son danger inspira la seule plaisanterie qu’il fît dans toute sa vie.

— Tout ce que Dieu fait est naturel, répondit le prêtre.

— Votre fantasmagorie ne m’effraie point, dit le colosse en retrouvant un peu de sang-froid.

— Je ne viens pas vous effrayer, mon cher monsieur, car jamais je ne parlerai de ceci à qui que ce soit au monde, dit le curé. Vous seul savez la vérité. C’est une affaire entre vous et Dieu.

— Voyons, monsieur le curé, me croyez-vous capable d’un si horrible abus de confiance ?

— Je ne crois qu’aux crimes que l’on me confesse et desquels on se repent, dit le prêtre d’un ton apostolique.

— Un crime ?… s’écria Minoret.

— Un crime affreux dans ses conséquences.

— En quoi ?