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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

la transmission des maudites inscriptions. Dans cette horrible situation, il pensa néanmoins à tout avouer à sa femme afin d’avoir un conseil. Zélie, qui avait si bien mené sa barque, saurait le retirer de ce pas difficile. Les rentes trois pour cent étaient alors à quatre-vingts francs, il s’agissait, avec les arrérages, d’une restitution de près d’un million ! Rendre un million, sans qu’il y ait contre nous aucune preuve qui dise qu’on l’a pris ?… ceci n’était pas une petite affaire. Aussi Minoret demeura-t-il pendant le mois de septembre et une partie de celui d’octobre en proie à ses remords, à ses irrésolutions. Au grand étonnement de toute la ville, il maigrit.

Une circonstance affreuse hâta la confidence que Minoret voulait faire à Zélie : l’épée de Damoclès se remua sur leurs têtes. Vers le milieu du mois d’octobre, monsieur et madame Minoret reçurent de leur fils Désiré la lettre suivante :

« Ma chère mère, si je ne suis pas venu vous voir depuis les vacances, c’est que d’abord j’étais de service en l’absence de monsieur le procureur du roi, puis je savais que monsieur de Portenduère attendait mon séjour à Nemours pour m’y chercher querelle. Lassé peut-être de voir une vengeance qu’il veut tirer de notre famille toujours remise, le vicomte est venu à Fontainebleau, où il avait donné rendez-vous à l’un de ses amis de Paris, après s’être assuré du concours du vicomte de Soulanges, chef d’escadron des hussards que nous avons en garnison. Il s’est présenté très-poliment chez moi, accompagné de ces deux messieurs, et m’a dit que mon père était indubitablement l’auteur des persécutions infâmes exercées sur Ursule Mirouët, sa future ; il m’en a donné les preuves en m’expliquant les aveux de Goupil devant témoins, et la conduite de mon père, qui d’abord s’était refusé à exécuter les promesses faites à Goupil pour le récompenser de ses perfides inventions, et qui, après lui avoir fourni les fonds pour traiter de la charge d’huissier à Nemours, avait par peur offert sa garantie à monsieur Dionis pour le prix de son Étude, et enfin établi Goupil. Le vicomte, ne pouvant se battre avec un homme de soixante-sept ans, et voulant absolument venger les injures faites à Ursule, me demanda formellement une réparation. Son parti, pris et médité dans le silence, était inébranlable. Si je refusais le duel, il avait résolu de me rencontrer dans un salon en face des personnes à l’estime desquelles je tenais le plus, à m’y insulter si gravement que je devrais alors me battre, ou que ma