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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/25

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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

Par une bizarrerie qu’expliquerait le proverbe : Les extrêmes se touchent, ce docteur matérialiste et le curé de Nemours furent très-promptement amis. Le vieillard aimait beaucoup le trictrac, jeu favori des gens d’Église, et l’abbé Chaperon était de la force du médecin. Le jeu fut donc un premier lien entre eux. Puis Minoret était charitable, et le curé de Nemours était le Fénelon du Gâtinais. Tous deux, ils avaient une instruction variée, l’homme de Dieu pouvait donc seul, dans tout Nemours, comprendre l’athée. Pour pouvoir disputer, deux hommes doivent d’abord se comprendre. Quel plaisir goûte-t-on d’adresser des mots piquants à quelqu’un qui ne les sent pas ? Le médecin et ce prêtre avaient trop de bon goût, ils avaient vu trop bonne compagnie pour ne pas en pratiquer les préceptes, ils purent alors se faire cette petite guerre si nécessaire à la conversation. Ils haïssaient l’un et l’autre leurs opinions, mais ils estimaient leurs caractères. Si de semblables contrastes, si de telles sympathies ne sont pas les éléments de la vie intime, ne faudrait-il pas désespérer de la société qui, surtout en France, exige un antagonisme quelconque ? C’est du choc des caractères et non de la lutte des idées que naissent les antipathies. L’abbé Chaperon fut donc le premier ami du docteur à Nemours. Cet ecclésiastique, alors âgé de soixante ans, était curé de Nemours depuis le rétablissement du culte catholique. Par attachement pour son troupeau, il avait refusé le vicariat du diocèse. Si les indifférents en matière de religion lui en savaient gré, les fidèles l’en aimaient davantage. Ainsi vénéré de ses ouailles, estimé par la population, le curé faisait le bien sans s’enquérir des opinions religieuses des malheureux. Son presbytère, à peine garni du mobilier nécessaire aux plus stricts besoins de la vie, était froid et dénué comme le logis d’un avare. L’avarice et la charité se trahissent par des effets semblables : la charité ne se fait-elle pas dans le ciel le trésor que se fait l’avare sur terre ? L’abbé Chaperon disputait avec sa servante sur sa dépense avec plus de rigueur que Gobseck avec la sienne, si toutefois ce fameux juif a jamais eu de servante. Le bon prêtre vendait souvent les boucles d’argent de ses souliers et de sa culotte pour en donner le prix à des pauvres qui le surprenaient sans le sou. En le voyant sortir de son église, les oreilles de sa culotte nouées dans les boutonnières, les dévotes de la ville allaient alors chercher les boucles du curé chez l’horloger-bijoutier de Nemours, et grondaient leur pasteur en les