302 | II. Livre. Scènes de la vie de province. |
la vie. Cette boîte est un présent de ma mère. Depuis ce matin je pensais que, si elle pouvait sortir de sa tombe, elle vendrait elle-même l’or que sa tendresse lui a fait prodiguer dans ce nécessaire ; mais, accomplie par moi, cette action me paraîtrait un sacrilège. Eugénie serra convulsivement la main de son cousin en entendant ces derniers mots.
— Non, reprit-il après une légère pause, pendant laquelle tous deux ils se jetèrent un regard humide, non, je ne veux ni le détruire, ni le risquer dans mes voyages. Chère Eugénie, vous en serez dépositaire. Jamais ami n’aura confié quelque chose de plus sacré à son ami. Soyez-en juge. Il alla prendre la boîte, la sortit du fourreau, l’ouvrit et montra tristement à sa cousine émerveillée un nécessaire où le travail donnait à l’or un prix bien supérieur à celui de son poids.
— Ce que vous admirez n’est rien, dit-il en poussant un ressort qui fit partir un double fond. Voilà ce qui, pour moi, vaut la terre entière. Il tira deux portraits, deux chefs-d’œuvre de madame de Mirbel, richement entourés de perles.
— Oh ! la belle personne, n’est-ce pas cette dame à qui vous écriv…
— Non, dit-il en souriant. Cette femme est ma mère, et voici mon père, qui sont votre tante et votre oncle. Eugénie, je devrais vous supplier à genoux de me garder ce trésor. Si je périssais en perdant votre petite fortune, cet or vous dédommagerait ; et, à vous seule, je puis laisser les deux portraits, vous êtes digne de les conserver ; mais détruisez-les, afin qu’après vous ils n’aillent pas en d’autres mains… Eugénie se taisait.
— Hé ! bien, oui, n’est-ce pas ? ajouta-t-il avec grâce.
En entendant les mots qu’elle venait de dire à son cousin, elle lui jeta son premier regard de femme aimante, un de ces regards où il y a presque autant de coquetterie que de profondeur ; il lui prit la main et la baisa.
— Ange de pureté ! entre nous, n’est-ce pas ?… l’argent ne sera jamais rien. Le sentiment, qui en fait quelque chose, sera tout désormais.
— Vous ressemblez à votre mère. Avait-elle la voix aussi douce que la vôtre ?
— Oh ! bien plus douce…
— Oui, pour vous, dit-elle en abaissant ses paupières. Allons, Charles, couchez-vous, je le veux, vous êtes fatigué. À demain.