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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

tion la croisée, et la jeune fille salua par un signe de tête le voyageur au moment où il finissait la pensée mélancolique exprimée par ces deux vers si simples :


Hélas ! vos vains honneurs
Pass’ront comme ces fleurs.


L’ouvrier montra soudain, en la tirant de dessous sa veste, une fleur d’un jaune d’or très commune en Bretagne, et sans doute trouvée dans les champs de la Brie, où elle est rare, la fleur de l’ajonc.

— Est-ce donc vous, Brigaut ? dit à voix basse la jeune fille.

— Oui, Pierrette, oui. Je suis à Paris, je fais mon tour de France ; mais je suis capable de m’établir ici, puisque vous y êtes.

En ce moment, une espagnolette grogna dans la chambre du premier étage, au-dessous de celle de Pierrette. La Bretonne manifesta la plus vive crainte et dit à Brigaut : — Sauvez-vous ! L’ouvrier sauta comme une grenouille effrayée vers le tournant qu’un moulin fait faire à cette rue qui va déboucher dans la grande rue, l’artère de la basse ville ; mais, malgré sa prestesse, ses souliers ferrés, en retentissant sur le petit pavé de Provins, produisirent un son facile à distinguer dans la musique du moulin, et que put entendre la personne qui ouvrait la fenêtre.

Cette personne était une femme. Aucun homme ne s’arrache aux douceurs du sommeil matinal pour écouter un troubadour en veste, une fille seule se réveille à un chant d’amour. Aussi était-ce une fille, et une vieille fille. Quand elle eut déployé ses persiennes par un geste de chauve-souris, elle regarda dans toutes les directions et n’entendit que vaguement les pas de Brigaut qui s’enfuyait. Y a-t-il rien de plus horrible à voir que la matinale apparition d’une vieille fille laide à sa fenêtre ? De tous les spectacles grotesques qui font la joie des voyageurs quand ils traversent les petites villes, n’est-ce pas le plus déplaisant ? il est trop triste, trop repoussant pour qu’on en rie. Cette vieille fille, à l’oreille si alerte, se présentait dépouillée des artifices en tout genre qu’elle employait pour s’embellir : elle n’avait ni son tour de faux cheveux ni sa collerette. Elle portait cet affreux petit sac en taffetas noir avec lequel les vieilles femmes s’enveloppent l’occiput, et qui dépassait son bonnet de nuit relevé par les mouvements du sommeil. Ce désordre donnait à cette tête l’air menaçant que les peintres prêtent aux