de la réponse. Le courant des affaires fut assez considérable pour retarder cette lettre, qui ne semblait pas urgente, et à laquelle la vieille fille ne pensa plus dès que leur première demoiselle consentit à traiter du fonds de la Sœur-de-Famille. Sylvie Rogron et son frère partirent pour Provins quatre ans avant le jour où la venue de Brigaut allait jeter tant d’intérêt dans la vie de Pierrette. Mais les œuvres de ces deux personnes en province exigent une explication aussi nécessaire que celle sur leur existence à Paris, car Provins ne devait pas moins être funeste à Pierrette que les antécédents commerciaux de ses cousins.
Quand le petit négociant venu de province à Paris retourne de Paris en province, il y rapporte toujours quelques idées ; puis il les perd dans les habitudes de la vie de province où il s’enfonce, et où ses velléités de rénovation s’abîment. De là ces petits changements lents, successifs, par lesquels Paris finit par égratigner la surface des villes départementales, et qui marquent essentiellement la transition de l’ex-boutiquier au provincial renforcé. Cette transition constitue une véritable maladie. Aucun détaillant ne passe impunément de son bavardage continuel au silence, et de son activité parisienne à l’immobilité provinciale. Quand ces braves gens ont gagné quelque fortune, ils en dépensent une certaine partie à leur passion longtemps couvée, et y déversent les dernières oscillations d’un mouvement qui ne saurait s’arrêter à volonté. Ceux qui n’ont pas caressé d’idée fixe voyagent, ou se jettent dans les occupations politiques de la municipalité. Ceux-ci vont à la chasse ou pêchent, tracassent leurs fermiers ou leurs locataires. Ceux-là deviennent usuriers comme le père Rogron, ou actionnaires comme tant d’inconnus. Le thème du frère et de la sœur, vous le connaissez : ils avaient à satisfaire leur royale fantaisie de manier la truelle, à se construire leur charmante maison. Cette idée fixe valut à la place du bas Provins la façade que venait d’examiner Brigaut, les distributions intérieures de cette maison et son luxueux mobilier. L’entrepreneur ne mit pas un clou sans consulter les Rogron, sans leur faire signer les dessins et les devis, sans leur expliquer longuement, en détail, la nature de l’objet en discussion, où il se fabriquait et ses différents prix. Quant aux choses extraordinaires, elles avaient été employées chez monsieur Tiphaine, ou chez madame Julliard la jeune, ou chez monsieur Garceland, le maire. Une similitude quelconque avec un des riches bourgeois de Pro-