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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

dait l’homme instruit. En ce temps la civilisation, la joie, la poésie, l’élégance, les femmes, enfin, toutes les splendeurs sociales n’étaient pas exclusivement à Paris. Les villes se relèvent aussi difficilement que les maisons de commerce de leur ruine : il ne nous reste de Provins que le parfum de notre gloire historique, celui de nos roses, et une sous-préfecture.

— Ah ! que serait la France si elle avait conservé toutes ses capitales féodales ! disait Desfondrilles. Les sous-préfets peuvent-ils remplacer la race poétique, galante et guerrière des Thibault qui avaient fait de Provins ce que Ferrare était en Italie, ce que fut Weymar en Allemagne et ce que voudrait être aujourd’hui Munich ?

— Provins a été une capitale ? s’écriait Rogron.

— D’où venez-vous donc ? répondait l’archéologue Desfondrilles.

Le Juge-suppléant frappait alors de sa canne le sol de la ville haute, et s’écriait : — Mais ne savez-vous donc pas que toute cette partie de Provins est bâtie sur des cryptes ?

— Cryptes !

— Hé ! bien, oui, des cryptes d’une hauteur et d’une étendue inexplicables. C’est comme des nefs de cathédrales, il y a des piliers.

— Monsieur fait un grand ouvrage archéologique dans lequel il compte expliquer ces singulières constructions, disait le vieux Martener qui voyait le juge enfourchant son dada.

Rogron revenait enchanté de savoir sa maison construite dans la vallée. Les cryptes de Provins employèrent cinq à six journées en explorations, et défrayèrent pendant plusieurs soirées la conversation des deux célibataires. Rogron apprenait toujours ainsi quelque chose sur le vieux Provins, sur les alliances des familles, ou de vieilles nouvelles politiques qu’il renarrait à sa sœur. Aussi disait-il cent fois dans sa promenade et souvent plusieurs fois à la même personne : — Hé ! bien, que dit-on ? — Hé ! bien, qu’y a-t-il de neuf ? Revenu dans sa maison, il se jetait sur un canapé du salon en homme harassé de fatigue, mais éreinté seulement de son propre poids. Il arrivait à l’heure du dîner en allant vingt fois du salon à la cuisine, examinant l’heure, ouvrant et fermant les portes. Tant que le frère et la sœur eurent des soirées en ville, ils atteignirent à leur coucher ; mais quand ils furent réduits à leur intérieur, la soirée fut un désert à traverser. Quelquefois les personnes qui revenaient chez elles sur la petite place, après avoir passé la soirée en ville, entendaient des cris chez les Rogron, comme si le frère assassinait