Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/405

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
402
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

— En Bretagne, dit Rogron.

— Mais la Bretagne est grande, fit observer monsieur Lesourd, le Procureur du Roi.

— Son grand-père et sa grand’mère Lorrain nous ont écrit. Quand donc, ma bonne ? fit Rogron.

Sylvie, occupée à demander à madame Garceland où elle avait acheté l’étoffe de sa robe, ne prévit pas l’effet de sa réponse et dit : — Avant la vente de notre fonds.

— Et vous avez répondu il y a trois jours, mademoiselle ? s’écria le notaire.

Sylvie devint rouge comme les charbons les plus ardents du feu.

— Nous avons écrit à l’établissement Saint-Jacques, reprit Rogron.

— Il s’y trouve en effet une espèce d’hospice pour les vieillards, dit un juge qui avait été juge-suppléant à Nantes ; mais elle ne peut pas être là, car on n’y reçoit que des gens qui ont passé soixante ans.

— Elle y est avec sa grand’mère Lorrain, dit Rogron.

— Elle avait une petite fortune, les huit mille francs que votre père… non, je veux dire votre grand-père lui avait laissés, dit le notaire qui fit exprès de se tromper.

— Ah ! s’écria Rogron d’un air bête sans comprendre cette épigramme.

— Vous ne connaissez donc ni la fortune ni la situation de votre cousine-germaine ? demanda le Président.

— Si monsieur l’avait connue, il ne la laisserait pas dans une maison qui n’est qu’un hôpital honnête, dit sévèrement le juge. Je me souviens maintenant d’avoir vu vendre à Nantes, par expropriation, une maison appartenant à monsieur et madame Lorrain, et mademoiselle Lorrain a perdu sa créance, car j’étais commissaire de l’Ordre.

Le notaire parla du colonel Lorrain, qui, s’il vivait, serait bien étonné de savoir sa fille dans un établissement comme celui de Saint-Jacques. Les Rogron firent alors leur retraite en se disant que le monde était bien méchant. Sylvie comprit le peu de succès que sa nouvelle avait obtenu : elle s’était perdue dans l’esprit de chacun, il lui était dès lors interdit de frayer avec la haute société de Provins. À compter de ce jour, les Rogron ne cachèrent plus leur haine contre les grandes familles bourgeoises de Provins et