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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

dévouement ; rien n’avait encore altéré ni froissé son cœur d’une délicatesse presque sauvage, et l’accueil de ses deux parents le comprima douloureusement. Si, pour elle, la Bretagne avait été pleine de misère, elle avait été pleine d’affection. Si les vieux Lorrain furent les commerçants les plus inhabiles, ils étaient les gens les plus aimants, les plus francs, les plus caressants du monde, comme tous les gens sans calcul. À Pen-Hoël, leur petite-fille n’avait pas eu d’autre éducation que celle de la nature. Pierrette allait à sa guise en bateau sur les étangs, elle courait par le bourg et par les champs en compagnie de Jacques Brigaut, son camarade, absolument comme Paul et Virginie. Fêtés, caressés tous deux par tout le monde, libres comme l’air, ils couraient après les mille joies de l’enfance : en été, ils allaient voir pêcher, ils prenaient des insectes, cueillaient des bouquets et jardinaient ; en hiver, ils faisaient des glissoires, ils fabriquaient de joyeux palais, des bonshommes ou des boules de neige avec lesquelles ils se battaient. Toujours les bienvenus, ils recueillaient partout des sourires. Quand vint le temps d’apprendre, les désastres arrivèrent. Sans ressources après la mort de son père, Jacques fut mis par ses parents en apprentissage chez un menuisier, nourri par charité, comme plus tard Pierrette le fut à Saint-Jacques. Mais, jusque dans cet hospice particulier, la gentille Pierrette avait encore été choyée, caressée et protégée par tout le monde. Cette petite, accoutumée à tant d’affection, ne retrouvait pas chez ces parents tant désirés, chez ces parents si riches, cet air, cette parole, ces regards, ces façons que tout le monde, même les étrangers et les conducteurs de diligence, avaient eus pour elle. Aussi son étonnement, déjà grand, fut-il compliqué par le changement de l’atmosphère morale où elle entrait. Le cœur a subitement froid ou chaud comme le corps. Sans savoir pourquoi, la pauvre enfant eut envie de pleurer : elle était fatiguée, elle dormit. Habituée à se lever de bonne heure, comme tous les enfants élevés à la campagne, Pierrette s’éveilla le lendemain, deux heures avant la cuisinière. Elle s’habilla, piétina dans sa chambre au-dessus de sa cousine, regarda la petite place, essaya de descendre, fut stupéfaite de la beauté de l’escalier ; elle l’examina dans ses détails, les patères, les cuivres, les ornements, les peintures, etc. Puis elle descendit, elle ne put ouvrir la porte du jardin, remonta, redescendit quand Adèle fut éveillée, et sauta dans le jardin ; elle en prit possession, elle courut jusqu’à