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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

aux dents, à la tête, aux pieds, au ventre ; mais on n’a jamais vu avoir mal partout ! Qu’est-ce que c’est que cela partout ? Avoir mal partout, c’est n’avoir mal nune part. Sais-tu ce que tu fais ? tu parles pour ne rien dire.

Pierrette finit par se taire en voyant ses naïves observations de jeune fille, les fleurs de son esprit naissant, accueillies par des lieux communs que son bon sens lui signalait comme ridicules.

— Tu te plains, et tu as un appétit de moine ! lui disait Rogron.

La seule personne qui ne blessait point cette chère fleur si délicate était la grosse servante, Adèle. Adèle allait bassiner le lit de cette petite fille, mais en cachette depuis le soir où, surprise à donner cette douceur à la jeune héritière de ses maîtres, elle fut grondée par Sylvie.

— Il faut élever les enfants à la dure, on leur fait ainsi des tempéraments forts. Est-ce que nous nous en sommes plus mal portés mon frère et moi ? dit Sylvie. Vous feriez de Pierrette une picheline, mot du vocabulaire Rogron pour peindre les gens souffreteux et pleurards.

Les expressions caressantes de cette ange étaient reçues comme des grimaces. Les roses d’affection qui s’élevaient si fraîches, si gracieuses dans cette jeune âme, et qui voulaient s’épanouir au dehors, étaient impitoyablement écrasées. Pierrette recevait les coups les plus durs aux endroits tendres de son cœur. Si elle essayait d’adoucir ces deux féroces natures par des chatteries, elle était accusée de se livrer à sa tendresse par intérêt.

— Dis-moi tout de suite ce que tu veux ? s’écriait brutalement Rogron, tu ne me câlines certes pas pour rien.

Ni la sœur ni le frère n’admettaient l’affection, et Pierrette était tout affection. Le colonel Gouraud, jaloux de plaire à mademoiselle Rogron, lui donnait raison en tout ce qui concernait Pierrette. Vinet appuyait également les deux parents en tout ce qu’ils disaient contre Pierrette ; il attribuait tous les prétendus méfaits de cette ange à l’entêtement du caractère breton, et prétendait qu’aucune puissance, aucune volonté n’en venait à bout. Rogron et sa sœur étaient adulés avec une finesse excessive par ces deux courtisans, qui avaient fini par obtenir de Rogron le cautionnement du journal le Courrier de Provins, et de Sylvie cinq mille francs d’actions. Le colonel et l’avocat se mirent en campagne. Ils placèrent cent actions de cinq cents francs parmi les électeurs propriétaires de