grande ambition sous une sévérité de principes absolus. La sœur de ce prêtre, une fille d’environ trente ans, tenait une pension de demoiselles dans la ville. Le frère et la sœur se ressemblaient : tous deux maigres, jaunes, à cheveux noirs, atrabilaires. En Bretonne bercée dans les pratiques et la poésie du catholicisme, Pierrette ouvrit son cœur et ses oreilles à la parole de ce prêtre imposant. Les souffrances disposent à la dévotion, et presque toutes les jeunes filles, poussées par une tendresse instinctive, inclinent au mysticisme, le côté profond de la religion. Le prêtre sema donc le grain de l’Évangile et les dogmes de l’Église dans un terrain excellent. Il changea complètement les dispositions de Pierrette. Pierrette aima Jésus-Christ présenté dans la Communion aux jeunes filles comme un céleste fiancé ; ses souffrances physiques et morales eurent un sens, elle fut instruite à voir en toute chose le doigt de Dieu. Son âme, si cruellement frappée dans cette maison sans qu’elle pût accuser ses parents, se réfugia dans cette sphère où montent tous les malheureux, soutenus sur les ailes des trois Vertus théologales. Elle abandonna donc ses idées de fuite. Sylvie, étonnée de la métamorphose opérée en Pierrette par monsieur Habert, fut prise de curiosité. Dès lors, tout en préparant Pierrette à faire sa première communion, monsieur Habert conquit à Dieu l’âme, jusqu’alors égarée, de mademoiselle Sylvie. Sylvie tomba dans la dévotion. Denis Rogron, sur lequel le prétendu jésuite ne put mordre, car alors l’esprit de S. M. Libérale feu le Constitutionnel Ier était plus fort sur certains niais que l’esprit de l’Église, Denis resta fidèle au colonel Gouraud, à Vinet et au libéralisme.
Mademoiselle Rogron fit naturellement la connaissance de mademoiselle Habert, avec laquelle elle sympathisa parfaitement. Ces deux filles s’aimèrent comme deux sœurs qui s’aiment. Mademoiselle Habert offrit de prendre Pierrette chez elle, et d’éviter à Sylvie les ennuis et les embarras d’une éducation ; mais le frère et la sœur répondirent que l’absence de Pierrette leur ferait un trop grand vide à la maison. L’attachement des Rogron à leur petite cousine parut excessif. En voyant l’entrée de mademoiselle Habert dans la place, le colonel Gouraud et l’avocat Vinet prêtèrent à l’ambitieux vicaire, dans l’intérêt de sa sœur, le plan matrimonial formé par le colonel.
— Votre sœur veut vous marier, dit l’avocat à l’ex-mercier.
— À l’encontre de qui ? fit Rogron.