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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

badiner le long des joues ; mais toutes ces ruines sont dominées par une incroyable dignité dans les manières et dans le regard. Les yeux ridés et rouges de cette vieille dame disaient assez qu’elle avait pleuré pendant la messe. Elle allait comme une personne troublée, et semblait attendre quelqu’un, car elle se retourna. Or madame de Portenduère se retournant était un fait aussi grave que celui de la conversion du docteur Minoret.

— À qui madame de Portenduère en veut-elle ? dit madame Massin en rejoignant les héritiers pétrifiés par les réponses du vieillard.

— Elle cherche le curé, dit le notaire Dionis qui se frappa le front comme un homme saisi par un souvenir ou par une idée oubliée. J’ai votre affaire à tous, et la succession est sauvée ! Allons déjeuner gaiement chez madame Minoret.

Chacun peut imaginer l’empressement avec lequel les héritiers suivirent le notaire à la poste. Goupil accompagna son camarade bras dessus bras dessous en lui disant à l’oreille avec un affreux sourire : — Il y a de la crevette.

— Qu’est-ce que cela me fait ! lui répondit le fils de famille en haussant les épaules, je suis amoureux-fou de Florine, la plus céleste créature du monde.

— Qu’est-ce que c’est que Florine tout court ? demanda Goupil. Je t’aime trop pour te laisser dindonner par des créatures.

— Florine est la passion du fameux Nathan, et ma folie est inutile, car elle a positivement refusé de m’épouser.

— Les filles folles de leur corps sont quelquefois sages de la tête, dit Goupil.

— Si tu la voyais seulement une fois, tu ne te servirais pas de pareilles expressions, dit langoureusement Désiré.

— Si je te voyais briser ton avenir pour ce qui doit n’être qu’une fantaisie, reprit Goupil avec une chaleur à laquelle Bongrand eût peut-être été pris, j’irais briser cette poupée comme Varney brise Amy Robsart dans Kenilworth ! Ta femme doit être une d’Aiglemont, une mademoiselle du Rouvre, et te faire arriver à la députation. Mon avenir est hypothéqué sur le tien, et je ne te laisserai pas commettre de bêtises.

— Je suis assez riche pour me contenter du bonheur, répondit Désiré.

— Eh ! bien, que complotez-vous donc là ? dit Zélie à Goupil en hélant les deux amis restés au milieu de sa vaste cour.