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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

deux cœurs ; séparés, ils s’entendaient ! À chaque coup reçu dans le cœur, à chaque élancement de la tête, Pierrette se disait : — Brigaut est ici ! Et alors elle souffrait sans se plaindre.

Au premier marché qui suivit leur première rencontre à l’église, Brigaut guetta sa petite amie. Quoiqu’il la vît tremblant et pâle comme une feuille de novembre près de quitter son rameau, sans perdre la tête, il marchanda des fruits à la marchande avec laquelle la terrible Sylvie marchandait sa provision. Brigaut put glisser un billet à Pierrette, et Brigaut le glissa naturellement en plaisantant la marchande et avec l’aplomb d’un roué, comme s’il n’avait jamais fait que ce métier, tant il mit de sang-froid à son action, malgré le sang chaud qui sifflait à ses oreilles et qui sortait bouillonnant de son cœur en lui brisant les veines et les artères. Il eut la résolution d’un vieux forçat au dehors, et au dedans les tremblements de l’innocence, absolument comme certaines mères dans leurs crises mortelles où elles sont prises entre deux dangers, entre deux précipices. Pierrette eut les vertiges de Brigaut, elle serra le papier dans la poche de son tablier. Les plaques de ses pommettes passèrent au rouge cerise des feux violents. Ces deux enfants éprouvèrent de part et d’autre, à leur insu, des sensations à défrayer dix amours vulgaires. Ce moment leur laissa dans l’âme une source vive d’émotions. Sylvie, qui ne connaissait pas l’accent breton, ne pouvait voir un amoureux dans Brigaut, et Pierrette revint au logis avec son trésor.

Les lettres de ces deux pauvres enfants devaient servir de pièces dans un horrible débat judiciaire ; car sans ces fatales circonstances, elles n’eussent jamais été connues. Voici donc ce que Pierrette lut le soir dans sa chambre.

« Ma chère Pierrette, à minuit, à l’heure où chacun dort, mais où je veillerai pour toi, je serai toutes les nuits au bas de la fenêtre de la cuisine. Tu peux descendre par ta croisée une ficelle assez longue pour qu’elle arrive jusqu’à moi, ce qui ne fera pas de bruit, et tu y attacheras ce que tu auras à m’écrire. Je te répondrai par le même moyen. J’ai su qu’ils t’avaient appris à lire et à écrire, ces misérables parents qui te devaient faire tant de bien et qui te font tant de mal ! Toi, Pierrette, fille d’un colonel mort pour la France, réduite par ces monstres à faire leur cuisine !… Voilà donc où sont en allées tes jolies couleurs et ta belle santé ! Qu’est devenue ma Pierrette ? qu’en ont-ils fait ? Je vois