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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

chanter sous mes fenêtres le chant des mariées ? Ah ! Jacques, ma cousine, qui t’a entendu, m’a dit que j’avais un amant. Si tu veux être mon amant, aime-moi bien ; je te promets de t’aimer toujours comme par le passé et d’être ta fidèle servante.

» Pierrette Lorrain. »


« Tu m’aimeras toujours, n’est-ce pas ? »

La Bretonne avait pris dans la cuisine une croûte de pain où elle fit un trou pour mettre la lettre et donner de l’aplomb à son fil. À minuit, après avoir ouvert sa fenêtre avec des précautions excessives, elle descendit sa lettre et le pain, qui ne pouvait faire aucun bruit en heurtant le mur ou les persiennes. Elle sentit le fil tiré par Brigaut qui le cassa, puis il s’éloigna lentement à pas de loup. Quand il fut au milieu de la place, elle put le voir indistinctement à la clarté des étoiles ; mais lui la contemplait dans la zone lumineuse de la lumière projetée par la chandelle. Ces deux enfants demeurèrent ainsi pendant une heure, Pierrette lui faisant signe de s’en aller, lui partant, elle restant, et lui revenant prendre son poste, et Pierrette lui commandant de nouveau de quitter la place. Ce manège eut lieu plusieurs fois jusqu’à ce que la petite fermât sa fenêtre, se couchât et soufflât sa lumière. Une fois au lit, elle s’endormit heureuse, quoique souffrante : elle avait la lettre de Brigaut sous son chevet. Elle dormit comme dorment les persécutés, d’un sommeil embelli par les anges, ce sommeil aux atmosphères d’or et d’outre-mer, pleines d’arabesques divines entrevues et rendues par Raphaël.

La nature morale avait tant d’empire sur cette délicate nature physique, que le lendemain Pierrette se leva joyeuse et légère comme une alouette, radieuse et gaie. Un pareil changement ne pouvait échapper à l’œil de sa cousine, qui, cette fois, au lieu de la gronder, se mit à l’observer avec l’attention d’une pie. D’où lui vient tant de bonheur ? fut une pensée de jalousie et non de tyrannie. Si le colonel n’eût pas occupé Sylvie, elle aurait dit à Pierrette comme autrefois : — Pierrette, vous êtes bien turbulente ou bien insouciante de ce que l’on vous dit ! La vieille fille résolut d’espionner Pierrette comme les vieilles filles savent espionner. Cette journée fut sombre et muette comme le moment qui précède un orage.

— Vous ne souffrez donc plus, mademoiselle ? dit Sylvie au dîner. Quand je te disais qu’elle fait tout cela pour nous tourmenter !