Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/467

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
464
II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

atteignit à l’apogée des sentiments humains. Si Pierrette avait été là, certes elle l’eût frappée sans pitié. Pour une fille de cette trempe, la jalousie était moins un sentiment qu’une occupation : elle vivait, elle sentait battre son cœur, elle avait des émotions jusqu’alors complètement inconnues pour elle : le moindre mouvement la tenait éveillée, elle écoutait les plus légers bruits, elle observait Pierrette avec une sombre préoccupation.

— Cette petite misérable me tuera ! disait-elle.

Les sévérités de Sylvie envers sa cousine arrivèrent à la cruauté la plus raffinée et empirèrent la situation déplorable où Pierrette se trouvait. La pauvre petite avait régulièrement la fièvre, et ses douleurs à la tête devinrent intolérables. En huit jours, elle offrit aux habitués de la maison Rogron une figure de souffrance qui certes eût attendri des intérêts moins cruels ; mais le médecin Néraud, conseillé peut-être par Vinet, resta plus d’une semaine sans venir. Le colonel, soupçonné par Sylvie, eut peur de faire manquer son mariage en marquant la plus légère sollicitude pour Pierrette. Bathilde expliquait le changement de cette enfant par une crise prévue, naturelle et sans danger. Enfin, un dimanche soir où Pierrette était au salon, alors plein de monde, elle ne put résister à tant de douleurs, elle s’évanouit complétement ; et le colonel, qui s’aperçut le premier de l’évanouissement, alla la prendre et la porta sur l’un des canapés.

— Elle l’a fait exprès, dit Sylvie en regardant mademoiselle Habert et ceux qui jouaient avec elle.

— Je vous assure que votre cousine est fort mal, dit le colonel.

— Elle était très-bien dans vos bras, dit Sylvie au colonel avec un affreux sourire.

— Le colonel a raison, dit madame de Chargebœuf, vous devriez faire venir un médecin. Ce matin, à l’église, chacun parlait en sortant de l’état de mademoiselle Lorrain qui est visible.

— Je meurs, dit Pierrette.

Desfondrilles appela Sylvie et lui dit de défaire la robe de sa cousine. Sylvie accourut en disant : — C’est des giries ! Elle défit la robe ; elle allait toucher au corset, Pierrette alors trouva des forces surhumaines ; elle se redressa et s’écria : — Non ! non ! j’irai me coucher.

Sylvie avait tâté le corset, et sa main y avait senti les papiers. Elle laissa Pierrette se sauver, en disant à tout le monde : — Eh !