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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

archéologue et plus que jamais suppléant. Le Garde des Sceaux envoya l’un de ses protégés à la place de Lesourd. L’avancement de monsieur Tiphaine n’en produisit donc aucun dans le Tribunal de Provins. Vinet exploita très-habilement ces circonstances. Il avait toujours dit aux gens de Provins qu’ils servaient de marchepied aux grandeurs de la rusée madame Tiphaine. Le Président se jouait de ses amis. Madame Tiphaine méprisait in petto la ville de Provins, et n’y reviendrait jamais. Monsieur Tiphaine père mourut, son fils hérita de la terre du Fay, et vendit sa belle maison de la ville haute à monsieur Julliard. Cette vente prouva combien il comptait peu revenir à Provins. Vinet eut raison, Vinet avait été prophète. Ces faits eurent une grande influence sur le procès relatif à la tutelle de Rogron.

Ainsi l’épouvantable martyre exercé brutalement sur Pierrette par deux imbéciles tyrans, et qui, dans ses conséquences médicales, mettait monsieur Martener, approuvé par le docteur Bianchon, dans le cas d’ordonner la terrible opération du trépan ; ce drame horrible, réduit aux proportions judiciaires, tombait dans le gâchis immonde qui s’appelle au Palais la forme. Ce procès traînait dans les délais, dans le lacis inextricable de la procédure, arrêté par les ambages d’un odieux avocat ; tandis que Pierrette calomniée languissait et souffrait les plus épouvantables douleurs connues en médecine. Ne fallait-il pas expliquer ces singuliers revirements de l’opinion publique et la marche lente de la Justice, avant de revenir dans la chambre où elle vivait, où elle mourait ?

Monsieur Martener, de même que la famille Auffray, fut en peu de jours séduit par l’adorable caractère de Pierrette et par la vieille Bretonne dont les sentiments, les idées, les façons étaient empreintes d’une antique couleur romaine. Cette matrone du Marais ressemblait à une femme de Plutarque. Le médecin voulut disputer cette proie à la mort, car dès le premier jour le médecin de Paris et le médecin de province regardèrent Pierrette comme perdue. Il y eut entre le mal et le médecin, soutenu par la jeunesse de Pierrette, un de ces combats que les médecins seuls connaissent et dont la récompense, en cas de succès, n’est jamais ni dans le prix vénal des soins ni chez le malade ; elle se trouve dans la douce satisfaction de la conscience et dans je ne sais quelle palme idéale et invisible recueillie par les vrais artistes après le contentement que leur cause la certitude d’avoir fait une belle œuvre. Le médecin tend au