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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/490

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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

ses vieilles mains roides dans le linceul. Vers le soir, Brigaut quitta la maison Auffray, descendit chez Frappier.

— Je n’ai pas besoin, mon pauvre garçon, de te demander des nouvelles, lui dit le menuisier.

— Père Frappier, oui, c’est fini pour elle, et non pas pour moi.

L’ouvrier jeta sur tout le bois de la boutique des regards à la fois sombres et perspicaces.

— Je te comprends, Brigaut, dit le bonhomme Frappier. Tiens, voilà ce qu’il te faut.

Et il lui montra des planches en chêne de deux pouces.

— Ne m’aidez pas, monsieur Frappier, dit le Breton ; je veux tout faire moi-même.

Brigaut passa la nuit à raboter et ajuster la bière de Pierrette, et plus d’une fois il enleva d’un seul coup de rabot un ruban de bois humide de ses larmes. Le bonhomme Frappier le regardait faire en fumant. Il ne lui dit que ces deux mots quand son premier garçon assembla les quatre morceaux : — Fais donc le couvercle à coulisse : ces pauvres parents ne l’entendront pas clouer.

Au jour Brigaut alla chercher le plomb nécessaire pour doubler la bière. Par un hasard extraordinaire les feuilles de plomb coûtèrent exactement la somme qu’il avait donnée à Pierrette pour son voyage de Nantes à Provins. Ce courageux Breton, qui avait résisté à l’horrible douleur de faire lui-même la bière de sa chère compagne d’enfance, en doublant ces funèbres planches de tous ses souvenirs, ne tint pas à ce rapprochement : il défaillit et ne put emporter le plomb, le plombier l’accompagna en lui offrant d’aller avec lui pour souder la quatrième feuille une fois que le corps serait mis dans le cercueil. Le Breton brûla le rabot et tous les outils qui lui avaient servi, il fit ses comptes avec Frappier et lui dit adieu. L’héroïsme avec lequel ce pauvre garçon s’occupait, comme la grand’mère, à rendre les derniers devoirs à Pierrette le fit intervenir dans la scène suprême qui couronna la tyrannie des Rogron.

Brigaut et le plombier arrivèrent assez à temps chez monsieur Auffray pour décider par leur force brutale une infâme et horrible question judiciaire. La chambre mortuaire, pleine de monde, offrit aux deux ouvriers un singulier spectacle. Les Rogron s’étaient dressés hideux auprès du cadavre de leur victime pour la torturer encore après sa mort. Le corps sublime de beauté de la pauvre