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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

Selon l’avocat de monsieur Rogron, si la pauvre enfant que voici succombe à son abcès dans la tête, son ancien tuteur ne saurait être inquiété ; car il est prouvé que Pierrette a caché pendant longtemps le coup qu’elle s’était donné…

— Assez ! dit Brigaut.

— Mon client, dit Vinet.

— Ton client, s’écria le Breton, ira dans l’enfer et moi sur l’échafaud ; car si quelqu’un de vous fait mine de toucher à celle que ton client a tuée, et si le carabin ne rentre pas son outil, je le tue net.

— Il y a rébellion, dit Vinet, nous allons en instruire le juge.

Les cinq étrangers se retirèrent.

— Oh ! mon fils ! dit la vieille en se dressant et sautant au cou de Brigaut, ensevelissons-la bien vite, ils reviendront !…

— Une fois le plomb scellé, dit le plombier, ils n’oseront peut-être plus.

Monsieur Auffray courut chez son beau-frère, monsieur Lesourd, pour tâcher d’arranger cette affaire. Vinet ne voulait pas autre chose. Une fois Pierrette morte, le procès relatif à la tutelle, qui n’était pas jugé, se trouvait éteint sans que personne pût en arguer pour ou contre les Rogron : la question demeurait indécise. Aussi l’adroit Vinet avait-il bien prévu l’effet que sa requête allait produire.

À midi monsieur Desfondrilles fit son rapport au Tribunal sur l’instruction relative à Rogron, et le Tribunal rendit un jugement de non-lieu parfaitement motivé.

Rogron n’osa pas se montrer à l’enterrement de Pierrette, auquel assista toute la ville. Vinet avait voulu l’y entraîner ; mais l’ancien mercier eut peur d’exciter une horreur universelle.

Brigaut quitta Provins après avoir vu combler la fosse où Pierrette fut enterrée, et alla de son pied à Paris. Il écrivit une pétition à la Dauphine pour, en considération du nom de son père, entrer dans la Garde Royale, où il fut aussitôt admis. Quand se fit l’expédition d’Alger, il écrivit encore à la Dauphine pour obtenir d’être employé. Il était sergent, le Maréchal Bourmont le nomma sous-lieutenant dans la Ligne. Le fils du major se conduisit en homme qui voulait mourir. La mort a jusqu’à présent respecté Jacques Brigaut, qui s’est distingué dans toutes les expédition récentes sans y trouver une blessure. Il est aujourd’hui chef de bataillon dans la