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LES CÉLIBATAIRES : PIERRETTE.

Vinet a eu soin de le faire nommer Président du Tribunal. Sylvie a une petite cour et administre les biens de son frère ; elle prête à gros intérêts et ne dépense pas douze cents francs par an.

De temps en temps, sur cette petite place, quand un enfant de Provins y arrive de Paris pour s’y établir, et sort de chez mademoiselle Rogron, un ancien partisan des Tiphaine dit : — Les Rogron ont eu dans les temps une triste affaire à cause d’une pupille…

— Affaire de parti, répond le président Desfondrilles. On a voulu faire croire à des monstruosités. Cette Pierrette était une petite fille assez gentille et sans fortune ; par bonté d’âme ils l’ont prise avec eux ; au moment de se former, elle eut une intrigue avec un garçon menuisier ; elle venait pieds nus à sa fenêtre y causer avec ce garçon, qui se tenait là, voyez-vous ? Les deux amants s’envoyaient des billets doux au moyen d’une ficelle. Vous comprenez que dans son état, aux mois d’octobre et de novembre, il n’en fallait pas davantage pour faire aller à mal une fille qui avait les pâles couleurs. Les Rogron se sont admirablement bien conduits : ils n’ont pas réclamé leur part de l’héritage de cette petite, ils ont tout abandonné à sa grand’mère. La morale de cela, mes amis, est que le diable nous punit toujours d’un bienfait.

— Ah ! mais c’est bien différent, le père Frappier me racontait cela tout autrement.

— Le père Frappier consulte plus sa cave que sa mémoire, dit alors un habitué du salon de mademoiselle Rogron.

— Mais le vieux monsieur Habert…

— Oh ! celui-là, vous savez son affaire ?

— Non.

— Eh ! bien, il voulait faire épouser sa sœur à monsieur Rogron, le Receveur-Général.

Deux hommes se souviennent chaque jour de Pierrette : le médecin Martener et le major Brigaut qui, seuls, connaissent l’épouvantable vérité.

Pour donner à ceci d’immenses proportions, il suffit de rappeler qu’en transportant la scène au Moyen-Âge et à Rome sur ce vaste théâtre, une jeune fille sublime, Béatrix Cenci, fut conduite au supplice par des raisons et par des intrigues presque analogues à celles qui menèrent Pierrette au tombeau. Béatrix Cenci n’eut pour tout défenseur qu’un artiste, un peintre. Aujourd’hui l’histoire et les vivants, sur la foi du portrait de Guido Reni, condamnent le pape,