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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/56

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URSULE MIROUET.

Piqué comme l’est un lion par un taon, l’anti-mesmérien bondit jusqu’à Paris et mit sa carte chez le vieux Bouvard, qui demeurait rue Féron, près de Saint-Sulpice. Bouvard lui mit une carte à son hôtel, en lui écrivant : « Demain, à neuf heures, rue Saint-Honoré, en face l’Assomption. » Minoret, redevenu jeune, ne dormit pas. Il alla voir les vieux médecins de sa connaissance, et leur demanda si le monde était bouleversé, si la médecine avait une École, si les quatre Facultés vivaient encore. Les médecins le rassurèrent en lui disant que le vieil esprit de résistance existait ; seulement, au lieu de persécuter, l’Académie de médecine et l’Académie des sciences pouffaient de rire en rangeant les faits magnétiques parmi les surprises de Comus, de Comte, de Bosco, dans les jongleries, la prestidigitation et ce qu’on nomme la physique amusante. Ces discours n’empêchèrent point le vieux Minoret d’aller au rendez-vous que lui donnait le vieux Bouvard. Après quarante-quatre années d’inimitié, les deux antagonistes se revirent sous une porte cochère de la rue Saint-Honoré. Les Français sont trop continuellement distraits pour se haïr pendant longtemps. À Paris surtout, les faits étendent trop l’espace et font en politique, en littérature et en science la vie trop vaste pour que les hommes n’y trouvent pas des pays à conquérir où leurs prétentions peuvent régner à l’aise. La haine exige tant de forces toujours armées que l’on s’y met plusieurs quand on veut haïr pendant longtemps. Aussi les Corps peuvent-ils seuls y avoir de la mémoire. Après quarante-quatre ans, Robespierre et Danton s’embrasseraient. Cependant chacun des deux docteurs garda sa main sans l’offrir. Bouvard le premier dit à Minoret : — Tu te portes à ravir.

— Oui, pas mal, et toi ? répondit Minoret une fois la glace rompue.

— Moi, comme tu vois.

— Le magnétisme empêche-t-il de mourir ? demanda Minoret d’un ton plaisant mais sans aigreur.

— Non, mais il a failli m’empêcher de vivre.

— Tu n’es donc pas riche ? fit Minoret.

— Bah ! dit Bouvard.

— Eh ! bien, je suis riche, moi, s’écria Minoret.

— Ce n’est pas à ta fortune, mais à ta conviction que j’en veux. Viens, répondit Bouvard.

— Oh ! l’entêté ! s’écria Minoret.