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Page:Balzac - Œuvres complètes Tome 5 (1855).djvu/86

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URSULE MIROUET.

en croyant remarquer dans ses yeux une sorte de surprise et d’admiration, que je ne sais pas ce que j’aurais fait pour lui fournir l’occasion de me regarder. Il m’a semblé que je ne devais plus désormais m’occuper que de lui plaire. Son regard est maintenant la plus douce récompense de mes bonnes actions. Depuis ce moment, je songe à lui sans cesse et malgré moi. Monsieur Savinien est reparti le soir, je ne l’ai plus revu, la rue des Bourgeois m’a paru vide, et il a comme emporté mon cœur avec lui sans le savoir.

— Voilà tout ? dit le docteur.

— Tout, mon parrain, dit-elle avec un soupir où le regret de ne pas avoir à en dire davantage était étouffé sous la douleur du moment.

— Ma chère petite, dit le docteur en asseyant Ursule sur ses genoux, tu vas attraper tes seize ans bientôt, et ta vie de femme va commencer. Tu es entre ton enfance bénie qui cesse, et les agitations de l’amour qui te feront une existence orageuse, car tu as le système nerveux d’une exquise sensibilité. Ce qui t’arrive, c’est l’amour, ma fille, dit le vieillard avec une expression de profonde tristesse, c’est l’amour dans sa sainte naïveté, l’amour comme il doit être : involontaire, rapide, venu comme un voleur qui prend tout… oui, tout ! Et je m’y attendais. J’ai bien observé les femmes, et sais que, si chez la plupart l’amour ne s’empare d’elles qu’après bien des témoignages, des miracles d’affection, si celles-là ne rompent leur silence et ne cèdent que vaincues ; il en est d’autres qui, sous l’empire d’une sympathie explicable aujourd’hui par les fluides magnétiques, sont envahies en un instant. Je puis te le dire aujourd’hui : aussitôt que j’ai vu la charmante femme qui portait ton nom, j’ai senti que je l’aimerais uniquement et fidèlement sans savoir si nos caractères, si nos personnes se conviendraient. Y a-t-il en amour une seconde vue ? Quelle réponse faire, après avoir vu tant d’unions célébrées sous les auspices d’un si céleste contrat, plus tard brisées, engendrant des haines presque éternelles, des répulsions absolues ? Les sens peuvent, pour ainsi dire, s’appréhender et les idées être en désaccord : et peut-être certaines personnes vivent-elles plus par les idées que par le corps ? Au contraire, souvent les caractères s’accordent et les personnes se déplaisent. Ces deux phénomènes si différents, qui rendraient raison de bien des malheurs, démontrent la sagesse des lois qui laissent aux parents la haute main sur le mariage de leurs enfants ; car une jeune fille est