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II. LIVRE, SCÈNES DE LA VIE DE PROVINCE.

femme élégante, mais dont la jeunesse avait brillé sous l’Empire.

— Comment vous en êtes-vous tirés, vous autres ? dit un jour à la fin d’un déjeuner Savinien à quelques élégants avec lesquels il s’était lié comme se lient aujourd’hui des jeunes gens dont les prétentions en toute chose visent au même but et qui réclament une impossible égalité. Vous n’étiez pas plus riches que moi, vous marchez sans soucis, vous vous maintenez, et moi j’ai déjà des dettes !

— Nous avons tous commencé par là, lui dirent en riant Rastignac, Lucien de Rubempré, Maxime de Trailles, Émile Blondet, les dandies d’alors.

— Si de Marsay s’est trouvé riche au début de la vie, c’est un hasard ! dit l’amphitryon, un parvenu nommé Finot qui tentait de frayer avec ces jeunes gens. Et s’il n’eût pas été lui-même, ajouta-t-il en le saluant, sa fortune pouvait le ruiner.

— Le mot y est, dit Maxime de Trailles.

— Et l’idée aussi, répliqua Rastignac.

— Mon cher, dit gravement de Marsay à Savinien, les dettes sont la commandite de l’expérience. Une bonne éducation universitaire avec maîtres d’agréments et de désagréments, qui ne vous apprend rien, coûte soixante mille francs. Si l’éducation par le monde coûte le double, elle vous apprend la vie, les affaires, la politique, les hommes et quelquefois les femmes.

Blondet acheva cette leçon par cette traduction d’un vers de La Fontaine :

Le monde vend très-cher ce qu’on pense qu’il donne !


Au lieu de réfléchir à ce que les plus habiles pilotes de l’archipel parisien lui disaient de sensé, Savinien n’y vit que des plaisanteries.

— Prenez garde, mon cher, lui dit de Marsay, vous avez un beau nom, et si vous n’acquérez pas la fortune qu’exige votre nom, vous pourrez aller finir vos jours sous un habit de maréchal-des-logis dans un régiment de cavalerie.


Nous avons vu tomber de plus illustres têtes !


ajouta-t-il en déclamant ce vers de Corneille et prenant le bras de Savinien. — Il nous est venu, reprit-il, voici bientôt six ans, un jeune comte d’Esgrignon qui n’a pas vécu plus de deux ans dans le paradis du grand monde. Hélas ! il a vécu ce que vivent les fusées. Il s’est élevé jusqu’à la duchesse de Maufrigneuse, et il est