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CONTES DRÔLATIQUES.

iamais veoir céans ; et, pour celluy-là, il m’en vendra deux iolys petits, où il n’y aura pas tant seulement la place d’ung enfant ; par ainsy, les meschancetez et hableries des envieux de ta vertu seront estainctes, faulte d’aliment.

— Vous me faictes bien plaisir, dit-elle ; ie ne tiens point à mon bahut, et, par adventure, il n’y ha rien dedans. Nostre linge est à la buanderie. Il sera facile d’emporter dès demain matin ce bahut de meschief. Voulez-vous souper ?

— Nenny ! dit-il, ie souperay de meilleur appétit sans ce bahut.

— Ie veois, dit-elle, que le bahut sortira plus facilement d’icy que vostre teste…

— Holà ! hé ! cria l’orphebvre à ses forgerons et apprentifs. Descendez !

En ung clin d’œil, ses gens feurent en pied. Puis, luy, le maistre, leur ayant commandé briefvement la manutention dudict bahut, le meuble aux amours feut soubdainement transfreté par la salle ; mais, en passant, l’advocat, se treuvant les pieds en l’aër, ce dont il n’avoyt coustume, tresbuchia ung petit.

— Allez, dit la femme, allez ! C’est le montant qui bouge.

— Non, ma mye, c’est la cheville. Et, sans aultre conteste, le bahut glissa trez gentement le long des degrez.

— Holà, le charreton ! feit l’orphebvre. Et Chiquon de venir en sifflant ses mules, et bons apprentifs de bouter le bahut processif dessus la charrette.

— Hé ! hé ! feit l’advocat.

— Maistre, le bahut parle, dit ung apprentif.

— En quelle langue ? feit l’orphebvre en luy donnant ung bon coup de pied entre deux gentillesses qui heureusement n’estoyent point de verre. L’apprentif alla cheoir sur ung degré, de sorte qu’il discontinua ses estudes en langue de bahut. Le bergier, accompaigné du bon orphebvre, emmena tout le bagaige au bord de l’eaue, sans escouter la haulte éloquence du bois parlant ; et, luy ayant adiouxté quelques pierres, l’orphebvre le gecta en la Seyne.