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LES BONS PROUPOS.

coustume, quand Mademoiselle, fille du Roy, leur abbesse, estoyt couchiée… Ce feut elle qui nomma faire la petite oie s’en tenir en amour aux préliminaires, prolégomènes, avant-proupos, préfaces, protocolles, advertissemens, notices, prodromes, sommaires, prospectus, argumens, notes, prologues, épigraphes, titres, faulx titres, titres courans, scholies, remarques marginales, frontispices, observations, dorures sur tranche, iolis signets, fermails, reiglets, roses, vignettes, culs-de-lampe, gravures, sans aulcunement ouvrir le livre ioyeulx, pour lire, relire, estudier, appréhender et comprendre le contenu. Et si rassembla-t-elle en corps de doctrine toutes les menues gaudisseries extra-iudiciaires de ce beau languaige qui procède bien des lèvres, mais ne faict aulcun bruit, et le practicqua si saigement qu’elle mourut vierge de formes et point guastée. Ceste gaye science feut depuis grantement approfundie par les dames de la Court, lesquelles prenoyent des amans pour la petite oie, d’aultres pour l’honneur, et, parfoys aussy, aulcuns qui avoyent sur elles droict de haulte et basse iustice, estoyent maistres de tout, estat que beaucoup préfèrent. Ie reprends. Quand doncques ceste vertueuse princesse estoyt nue entre ses draps sans avoir honte de rien, lesdictes filles, celles qui avoyent le menton sans rides et le cueur gay, sortoyent à petits bruits de leurs cellules et venoyent se musser en celle d’une de leurs sœurs, laquelle estoyt fort affectionnée de toutes. Là, elles faisoyent de bonnes causettes entremeslées de confictures, dragées, beuveries, noises de ieunes filles, houspillant les vieilles, les contrefaisant en cingeries, s’en mocquant avecques innocence, disant des contes à plourer de rire, et iouant à mille ieux. Tantost elles mesuroyent leurs pieds, cherchant les plus mignons ; comparoyent les blanches rondeurs de leurs bras ; vérifioyent quel nez avoyt l’infirmité de rougir après souper ; comptoyent leurs grains de rousseur ; se disoyent où estoyent situez leurs signes ; estimoyent qui avoyt le tainct plus net, les plus iolies couleurs, la taille plus belle. Faictes estat que, parmy ces tailles appartenant à Dieu, s’en rencontroyent de fines, de rondes, de plates, de creuses, de bombées, de souples, de gresles, de toutes sortes. Puis elles se disputoyent à qui falloyt moins d’estoffe pour la ceincture, et celle qui comportoyt le moins d’empans estoyt contente sans sçavoir pourquoy. Tantost se racontoyent leurs resves et ce qu’elles y avoyent aperceu. Souvent une ou deux,