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CONTES DRÔLATIQUES.

Vécy comme. Bon Gargantua, pour que la haulte authorité de son lieutenant feust universellement cogneue de tous muzaraignes, chats, belettes, fouynes, mulots, souriz, rats et aultres maulvais garsons de mesme farine, luy avoyt trempé légierement son museau, pointu comme lardoire, dedans une huile de musc, dont depuis ont hérité les muzaraignes, pour ce que cettuy se frotta, maulgré les saiges advis de Gargantua, aux aultres gens fouynesques. De ce vindrent les troubles en Muzaraignoys, dont vous rendroys bon compte en ung livre d’histoire, si le temps ne me deffailloyt. Lors ung vieulx souriz ou ung rat, les rabbins du Talmud ne sont point encores d’ung mesme advis sur l’espèce, recognoissant à ce susdict perfum que ce muzaraigne avoyt mission de veigler au grain des Gargantua, et avoyt esté saupoudré de vertus, investy de pouvoir suffisant, armé de tout poinct, eut paour de ne plus vivre, selon les coustumes souricquoises, de miettes, grignotteries, croustons, frusteaux, reliefs, boussins, morceaulx, fragmens, et des mille aultres chouses de ceste terre promise des rats. Ores, en cet estrif, la bonne souriz, rusée comme ung vieulx courtizan qui ha veu deux régences et trois roys, se résolut de taster l’esperit du muzaraigne, et se dévoua pour le salut de toutes les maschoires ratamorphes. Cecy eust esté beau pour ung homme, mais ce estoyt bien plus, eu esguard à l’égoïsme des souriz, lesquelles vivent pour elles seules, sans pudeur, ne honte ; et, à ceste fin de passer plus vite, conchieroyent en une hostie, rongeroyent une estole de prebstre, sans vergongne, et boiroyent en ung calice, peu soulcieuses de Dieu. La souriz s’advança faisant de iolies courbettes, et le muzaraigne la laissa venir ung peu près, pour ce que besoing est de vous dire que, de leur nature, les muzaraignes y voyent peu. Lors le Curtius des grignotteurs dit ces paroles, non en patoys de souriz, ains en bon toscan de muzaraignoys : — Seigneur, i’ay entendu moult parler de vostre glorieuse famille, dont ie suis ung des serviteurs les plus devouez, et sçays toute la légende de vos ancestres, qui iadis ont esté reverez des anciens Ægyptiacques, lesquels les avoyent en grant vénération et les adoroyent comme aultres oyseaulx sacrez. Néantmoins vostre robbe fourrée est si royalement perfumée, et la couleur en est si superficocquencieusement tannée, que ie doubte à vous recognoistre comme estant de ceste race, veu que ie n’en ay iamais veu de si bravement vestu. Cependant vous avez esgoussé le grain à la