Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
350
CONTES DRÔLATIQUES.

de Bueil, ayant occis Geoffroy de la Roche-Pozay, devint seigneur et maistre de ceste guaine meurtrière et la mussa dedans ung convent ou harem à la fasson sarrazine. Par avant ce, souloyt-on la veoir et l’entendre desbagouler en ses festoyemens mille patoys d’oultre-mer, arabesque, grec de l’empire latin, moresque, et d’abundant le françoys comme pas ung de ceulx qui sçavoient au mieulx les languaiges de France en l’ost des christians, d’où vint ceste créance que elle estoyt prou démoniacque.

Le dict sire Harduin nous ha confessé n’avoir point iouxté pour elle en Terre Saincte, non par paour, nonchaloir, ou aultre cause ; ains il cuydoyt que cet heur lui estoyt advenu pour ce qu’il portoyt un morceau de la vraye Croix, et aussy avoyt à lui une noble dame du pays grec, laquelle le saulvoyt de ce dangier en le desnuant d’amour, soir et matin, veu qu’elle lui prenoyt substantiellement tout, ne luy laissant rien au cueur, ni ailleurs pour les aultres.

Et nous ha ledict seigneur acertené la femme logiée en la maison des champs de Tortebras estre réallement la dicte Sarrazine venue ez pays de Syrie, pour ce que il avoyt esté convié en ung regoubillonner chez elle par le ieune sire de Croixmare, lequel trespassa le septiesme iour après, au dire de la dame de Croixmare, sa mère, ruyné de tout poinct par la dicte gouge, dont les accointances avoyent consumé tous ses esperitz vitaulx, et les phantaisies bigearres despendu ses escuz.

Puis, questionné, en sa qualité d’homme plein de prudhomie, sapience et d’authorité en ce pays, sur le pensier que il avoyt de ladicte femme, et sommé par nous de se descouvrir la conscience, veu que il s’en alloyt d’ung cas trez-abominable, de la foy chrestienne et de iustice divine, ha esté respondu par ledict seigneur :

Que par aulcuns en l’ost des Croisez luy avoyt esté dict que tousiours ceste diablesse estoyt pucelle à qui la chevaulchioyt, et que Mammon estoyt, pour le seur, en elle, occupé à luy faire ung nouveau pucelaige pour ung chascun de ses amans, et mille aultres follies de gens yvres, lesquelles n’estoyent point de nature à faire un cinquiesme Évangile. Mais, pour le seur, luy vieulx chevalier sur le retour de la vie, et ne sçaichant plus rien du déduict, se estoyt sentu ieune homme en ce darrenier souper dont l’avoyt resgallé le sire de Croixmare ; que la voix de cettuy démon luy estoyt advenue droict au cueur paravant de se couler par les