Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
367
LE SUCCUBE.

— Ie suis ung paouvre père, moult affligé par la sacre voulenté de Dieu. Paravant la venue du succube de la voye Chaulde, ie avoys pour tout bien ung fils beau comme ung homme noble, sçavant comme ung clerc, ayant faict des voyaiges plus de douze en pays estranges ; au demourant, bon catholicque ; se tenant à l’escart des aiguillons de l’amour, pour ce que il refrongnoyt au mariaige, se voyant le baston de mes vieulx iours, l’amour de mes yeulx et la resiouissance constante de mon cueur. Ce estoyt ung fils dont ung roy de France eust esté fier, ung bon et couraigeux homme, la lumière de mon négoce, la ioye de mon toict, et, en fin de tout, une richesse inestimable, veu que ie suis seul en ce monde, ayant eu le maulvais heur de perdre ma compaigne et d’estre trop vieil pour faire ung aultre moy-mesme. Ores, monseigneur, ce threzor sans pair me ha esté prins et mis en l’enfer par le démon. Oui, seigneur iuge, alors que par luy ha esté veue ceste guaisne à mille coulteaulx, cette diablesse en qui tout est atelier de perdition, ioincture de liesse, délectation, et que rien ne peut assouvir, mon paouvre enfant s’empestra dedans la glue de son amour, et depuis ne vesquit qu’entre les columnes de Vénus, et n’y vesquit pas un long temps, pour ce que en ce lieu gist si grant chaleur, que rien ne désaltère la soif de ce goulphre, quand mesmes vous y bouteriez les germes du monde entier. Las ! doncques, mon paouvre garson, son escarcelle, ses espérances génératifves, son heur éterne, tout luy, plus que luy, s’est engoulphré en ce pertuys comme ung grain de mil en la gueule d’ung taure. Par ainsy, devenu vieulx orphelin, moy qui parle, n’auray plus d’aultre ioye que de veoir cuire ce démon nourry de sang et d’or, ceste Arachné qui ha entortillé, sugcé plus d’hymenées, plus de familles en herbe, plus de cueurs, plus de chrestiens qu’il n’y ha de ladres en toutes les ladreries de la chrestienté. Bruslez, tormentez ceste goule, ce vampire qui paist des ames ; ceste nature tigre qui boit du sang ; ceste lampe amoureuse où bout le venin de toutes les vipères. Fermez cet abysme où ung homme ne peut trouver de fund… I’offre mes deniers au Chapitre pour le buscher, et mon bras pour y bouter le feu. Veiglez, seigneur iuge, à bien detenir ce diable, veu que elle ha feu plus flambant que tous aultres feux terrestres : elle ha tout le feu de l’enfer en son giron, la force de Samson en ses cheveulx et apparences de musicques célestes en la voix. Elle charme pour tuer le corps et l’ame en ung coup ; elle soubrit pour mordre ; elle baise pour dévorer ; brief, elle engi-