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CONTES DROLATIQUES.

vouloyt point consentir le bonhomme. Mais, après mille maulx, feut apprestée sa confession publicque, à laquelle assistèrent les plus considérables gens de la ville ; laquelle respandit une horreur et consternation qui feut telle, que ie ne sçauroys dire. Les ecclises du dioceze feirent des prières publicques pour ceste calamiteuse playe, et ung chascun redoubtoyt de veoir le diable dévaller chez soy par le foyer. Mais le vray de cela est que mon bon maistre Hiérosme avoyt les fiebvres et voyoyt des vaches en sa salle, alors que de luy feut obtenue ceste rétractation. L’accez finy, ploura grantement le paouvre sainct, en saichant de moy ce traffic. De faict, il mourut entre mes bras, assisté de son médecin, désespéré de ceste momerie, nous disant qu’il s’en alloyt aux pieds de Dieu le prier de ne point laisser consommer une iniquité déplourable. Ceste paouvre Morisque l’avoyt moult touchié par ses larmes et sa repentance, veu que, par avant de luy faire requérir le iugement de Dieu, il l’avoyt particulièrement confessée, et par ainsy s’estoyt dégagiée l’ame divine qui demouroyt en ce corps, et dont il nous parloyt comme d’ung diamant digne d’aorner la saincte couronne de Dieu, alors que elle auroyt quitté la vie après ses pénitences faictes. Lors, mon chier fils, saichant par les paroles qui se disoyent par la ville et par les naïfves responses de ceste paouvre misérable tout le trac de ceste affaire, ie delibéray, par l’advis de maistre Françoys de Hangest médecin du Chapitre, de feindre une maladie et quitter le service de l’ecclise Sainct-Maurice et de l’archevesché, ne voulant point tremper la main dans le sang innocent qui crie encores et criera iusques au iour du iugement darrenier devant Dieu. Lors feut banny le geolier ; puis feut mis en sa place le second fils du torssionnaire, lequel gecta la Morisque en ung cachot, et luy mit inhumainement aux mains et aux pieds des fers poisant cinquante livres, oultre une ceincture de bois. Puys, la geole fut veiglée par les arbalestriers de la ville et les gens d’armes de l’archevesque. La garse feut tormentée, gehennée, eut les os brisez ; vaincue par la douleur, feit ses adveux aux soubhaits de Iehan de la Haye et feut tost condamnée à estre bruslée en la coulture Sainct-Estienne, après avoir esté mise au portail de l’ecclise, vestue d’une chemise de soulphre ; puis ses biens acquis au Chapitre, et cætera. Cet arrest feut cause de grans troubles et prinses d’armes par la ville, pour ce que trois jeunes chevaliers de Touraine iurèrent de mourir au service de