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CONTES DROLATIQUES.

la paouvre fille et la délivrer par toutes les voyes quelconques. Lors ils vindrent en ville accompaignez d’ung millier de souffreteux, gens de poine, vieux souldards, gens de guerre, artisans et aultres que ladicte fille avoyt secourus, saulvez du mal, de la faim, de toute misère ; puis fouillèrent les taudis de la ville où gisoyent ceulx auxquels elle avoyt bien faict. Lors, tous s’estant esmeus et convocquez au rez de Mont-Louis sous la protection des gens d’armes desdicts seigneurs, ils eurent pour compaignons tous les maulvais garsons de vingt lieues à la ronde et vindrent ung matin faire le siege de la prison de l’archevesque, en criant que la Morisque leur feust livrée, comme s’ils vouloyent la mettre à mort, mais dans le faict pour la délivrer et la bouter secrettement sur ung coursier pour lui faire gaigner le large, veu que elle chevaulchioyt comme ung escuyer. Lors, en ceste effroyable tempeste de gens avons-nous veu entre les bastimens de l’archevesché et les ponts plus de dix mille hommes grouillans, oultre tous ceux qui estoyent iuchiez sur les toicts des maisons et grimpez en tous estaiges pour veoir la sédition. Brief, il estoyt facile d’entendre, par delà la Loire, de l’aultre costé de Sainct-Symphorien, les cris horrificques des chrestiens qui y alloyent à bon escient et de ceulx qui serroyent la geole en intention de faire évader la paouvre fille. L’estouffade et oppression des corps feut si grande en ceste foule populaire altérée du sang de la paouvre, aux genoilz de laquelle ils seroyent tombez tous, s’ils eussent eu l’heur de la veoir, que sept enfans, unze femmes et huict bourgeoys y feurent écrasez, pilez, sans que l’on ayt pu les recognoistre, veu qu’ils estoyent comme des tas de boue. Brief, si ouverte estoyt la grant gueule de ce Leviathan populaire, monstre horrible, que les clameurs en feurent ouyes des Montilz-les-Tours. Tous crioyent : « A mort le succube ! — Livrez-nous le démon ! Ha ! i’en veulx ung quartier ! — I’en veulx du poil ! — A moy le pied ! — A toy les crins ! — A moy la teste ! — A moy la chouse ! — Est-il rouge ? — Le verra-t-on ? — Le