Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/436

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
408
CONTES DROLATIQUES.

cuyra-t-on ? A mort ! à mort ! » Chascun disoyt son mot. Mais le cry : « Largesse à Dieu ! A mort le succube » estoyt gecté en un seul temps par la foule si druement et si cruellement, que les aureilles et les cueurs en saignoyent ; et les aultres criaillemens s’entendoyent à poine ez logiz. L’archevesque eut l’imagination, pour calmer cet oraige qui menassoyt de renverser tout, de sortir en grant pompe de l’ecclise, en portant Dieu, ce qui délivra le Chapitre de sa ruyne, veu que les maulvais garsons et les seigneurs avoyent iuré de destruire, brusler le cloistre et tuer les chanoines. Doncques, par ce stratagesme, ung chascun feut contrainct de se dissouldre, et, faulte de vivres, revint chez soy. Lors, les moustiers de Touraine, les seigneurs et les bourgeoys, en grant appréhension de quelque pillaige pour lendemain, feirent une assemblée nocturne, et se rangierent à l’advis du Chapitre. Par leurs soings, les hommes d’armes, archers, chevaliers et bourgeoys, en numbre infiny, feirent la guette et tuèrent ung party de pastoureaux, routiers, malandrins, lesquels, saichant le remue-mesnaige de Tours, venoyent grossir les mescontens. Messire Harduin de Maillé, vieulx homme noble, arraisonna les ieunes chevaliers qui estoyent les tenans de la Morisque et devisa saigement avecques iceulx, leur demandant si pour ung minon de femme ils vouloyent mettre la Touraine à feu et à sang ; si, encores qu’ils feussent victorieux, ils seroyent maistres des maulvais garsons appelez par eulx ; que ces dicts pillards, après avoir ruyné les chasteaulx de leurs ennemys, viendroyent à ceulx de leurs chiefs ; mais que, la rébellion encommencée n’ayant eu nul succez de prime sault, pour ce que quant à présent la place estoyt nette, pouvoyent-ils avoir le dessus sur l’Ecclise de Tours, qui invocqueroyt l’aide du Roy ? Puis mille aultres proupos. A ces raisons, les ieunes chevaliers dirent que il estoyt facile au Chapitre de faire évader nuictamment la fille, et que par ainsy la cause de la sédition seroyt tollue. A ceste saige et humaine requeste respondit monseigneur de Censoris, légat du pape, que besoing estoyt que force demeurast à la religion et à l’Ecclise. Là-dessus la paouvre garse paya pour le tout, veu que il feut convenu que nulles recherches ne seroyent faietes sur ceste sédition.

Lors, le Chapitre eut toute licence de procéder au supplice de la fille, auquel acte et cérémonie ecclésiasticque on vint de douze lieues à la ronde. Aussy, le iour où, après les satisfactions divines,