biens. Puis l’abbaye ha les bras plus longs que ie n’ay les pieds prompts. Et doncques ie vis en parfaicte obéissance de Dieu, qui me ha plantée ainsy.
— Et que faict vostre père ?
— Il fassonne les vignes des iardins de l’abbaye.
— Et vostre mère ?
— Elle y faict les buées !
— Et quel est vostre nom ?
— Ie n’ay point de nom, mon chier seigneur. Mon père ha esté baptisé Estienne, ma mère est la Estienne, et moy ie suis Tiennette, pour vous servir.
— Ma mye, feit l’orphebvre, iamais femme ne me ha plu autant que vous me plaisez, et ie vous cuyde le cueur plein de seures richesses. Doncques, pour ce que vous vous estes offerte à mes yeulx en l’instant où ie me déliberoys fermement de prendre une compaigne, ie crois veoir en cecy ung advis du Ciel, et, si ie ne vous suis point desplaisant, ie vous prie de m’agréer pour vostre amy.
La fille baissa derechief les yeulx. Ces paroles furent proférées de telle sorte, en ton si grave et manière si pénétrante, que ladicte Tiennette ploura.
— Non, monseigneur, respondit-elle, je seroys cause de mille desplaisirs et de vostre mauvaise heur. Pour une paouvre fille de corps, ce est assez d’une causette.
— Ho ! feit Anseau, vous ne cognoissez point, mon enfant, à quel maistre vous avez affaire.
Le Tourangeau se signa, ioignit les mains et dit : — Ie fais vœu à monsieur sainct Eloy, soubz l’invocation de qui sont les orphebvres, de fabriquer deux niches d’argent vermeil, du plus beau travail qu’il me sera licite de les aorner. L’une sera pour une statue de madame la Vierge, à ceste fin de la mercier de la liberté de ma chière femme, et l’aultre pour mon dict patron, si i’ay bon succez en l’emprinse de l’affranchissement de Tiennette, fille de corps, cy présente, et pour laquelle ie me fie en son assistance. D’abundant, ie iure par mon salut éterne de persévérer avecques couraige en ceste affaire, y despendre tout ce que ie possède, et ne la quitter qu’avecques la vie. Dieu me ha bien entendu, feit-il, et toy, mignonne ? dit-il en se virant vers la fille.
— Ha ! monseigneur, voyez !… ma vache court les champs,