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CONTES DROLATIQUES.

l’ame. Tantost vouloyt bouter le feu ez cinq coins du monastère ; tantost se prouposoyt d’attirer l’abbé en ung lieu où il peust le tormenter iusques à ce qu’il luy eust signé quelque chartre d’affranchissement pour Tiennette ; enfin mille resves qui s’évaporoyent. Mais, après bien des lamentations, se delibera d’enlever la fille et s’enfouir dans ung lieu seur d’où rien ne le sçauroyt tirer, et feit ses préparatives en conséquence, veu que, foryssu du royaulme, ses amys ou le Roy pourroyent mieulx chevir des moynes et les arraisonner. Le bonhomme comptoyt sans son abbé, veu que, en allant à la prée, il ne veit plus Tiennette et apprint que elle estoyt serrée en l’abbaye en si grant rigueur que, pour l’avoir, besoing seroyt de faire le siège du monastère. Lors maistre Anseau se respandit en plainctes, esclats et querimonies. Puys par toute la cité, les bourgeoys et mesnaigieres parloyent de ceste adventure, dont le bruict feut tel que le Roy, advisant le vieil abbé en sa Court, s’enquit de luy pourquoy il ne cedoyt point en ceste occurrence à la grant amour de son orphebvre et ne mettoyt en praticque la charité chrestienne.

— Pour ce que, monseigneur, respondit le prebstre, tous les droicts sont unis ensemble comme les pièces d’une armeure, et, si l’un faict deffault, tout tombe. Si ceste fille nous estoyt, contre notre gré, prinse, et si l’usaige n’estoyt observé, bientost vos subiects vous osteroyent vostre couronne, et s’esmouveroyent en tous lieux grosses séditions à ceste fin d’abolir les tailles et péages qui gehennent le populaire.

Le Roy eut la bouche close. Ung chascun doncques estoyt en apprehension de sçavoir la fin de ceste adventure. Si grant feut la curiosité que aulcuns seigneurs gaigièrent que le Tourangeau se desisteroyt de son amour, et les dames gaigièrent le contre. L’orphebvre s’estant plainct avecques larmes à la Royne que les moynes luy avoyent ravy la veue de sa bien aymée, elle treuva la chouse détestable et torssionnaire. Puis, sur ce que elle manda au seigneur abbé, il feut licite au Tourangeau d’aller tous les iours au parlouër de l’abbaye où venoyt Tiennette, mais soubz la gouverne d’ung vieulx moyne, et tousiours venoyt-elle attornée en vraye magnificence comme une dame. Les deux amans n’avoyent lors aultre licence que de se veoir et se parler, sans pouvoir happer ung paouvre boussin de ioye, et tousiours leur amour croissoyt d’autant. Ung iour, Tiennette tint ce discours à son amy : — Mon chier seigneur, i’ay delibéré de vous faire le