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LA BELLE FILLE DE PORTILLON.

sieur iuge, le caz au poing, iusques à sept heures, tousiours vétillant, frétillant comme marmotte deschaisnée ; ains, veu que la Portillonne se bendoyt tousiours à faire entrer le fil, il n’en pouvoyt mais, d’autant que son rost brusloyt, et eut le poing tant fatigué, que il feut contrainct soy reposer ung petit au bord de la table ; lors bien dextrement la belle fille de Portillon fourra le fil, disant :

— Vécy comme ha eu lieu la chouse.

— Ains mon rost brusloyt, feit-il.

— Et aussy le mien, feit-elle.

Le iuge, devenu quinauld, dit à la Portillonne que il verroyt à parler à monseigneur du Fou, et se chargioyt du pourchaz, veu que il constoyt que le ieune seigneur l’avoyt forcée contre son gré, ains que, pour raisons valables, il atermoyeroyt les chouses à l’umbre. Lendemain le iuge alla en Court et veit monseigneur du Fou, auquel il déduisit la plaincte de la belle fille, et comment elle luy avoyt raconté le cas. Ceste plaincte de iustice plut moult au Roy. Le ieune du Fou ayant dict que il y avait du vray, le Roy luy demanda s’il l’avoyt treuvée de difficile accez, et, comme le sieur du Fou respondit naïfvement que non, le Roy repartit que ceste pertuysade valoyt bien cent escuz d’or, et le chamberlan les bailla au iuge pour n’estre point taxé de ladrerie, ains dit que l’empoys seroyt de bonne rente à la Portillonne. Le iuge retourna dans Portillon, et dit en soubriant à la belle fille que il avoyt soublevé cent escuz d’or pour elle. Ains, si elle soubhaitoyt le demourant des mille escuz, il y avoyt, en cettuy moment, dedans la chambre du Roy, aulcuns seigneurs qui, sçaichant le cas, s’offroyent à les luy parfaire à son gré. La belle fille ne se reffusa point à cecy, disant que, pour ne plus faire ses buanderies, elle buanderoyt voulentiers son caz ung petit. Elle recogneut largement la poine du bon iuge, puis gaigna ses mille escuz d’or en ung mois. De là vindrent les menteries et bourdes sur son compte, veu que, pour ce dixain de seigneurs, les ialouses en mirent cent, tandis que, au rebours des garses, la Portillonne devint saige dès que elle eut ses mille escuz d’or. Voire ung duc qui n’auroyt point compté cinq cents escuz auroyt treuvé la fille rebelle à son dezir, ce qui prouve que elle estoyt chiche de son estoffe. Il est vrai que le Roy la feit venir en son retraict de la rue Quinquangrogne, au mail du Chardonneret, la treuva trez belle, moult noiseuse, s’en gaudit, et deffendit que elle