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LA BELLE IMPÉRIA MARIÉE.

que une dame avoyt ung advis trez-pressant pour elle, et que elle vinst luy bailler audience. Trez-obturbée par le discours qui luy feut faict des beaultez, courtoisie et suite de la dame incogneue, la damoiselle de Montmorency alla en grant erre ez jardins, et feit la rencontre de sa rivale, que elle ne cognoissoyt point.

— Ma mye, feit la paouvre femme pleurant de veoir la damoiselle autant belle que elle estoyt, ie sçays que l’on vous contrainct à marier monsieur de Chastillon, encores que vous aymez monsieur de l’Isle-Adam ; ayez fiance en la prophétie que ie vous fais icy, que celluy que vous avez aymé, et qui ne vous ha failly que par des embusches en lesquelles ung ange seroyt tombé, sera délivré de sa vieille femme paravant que les feuilles soyent cheues. Par ainsy, vostre constante amour aura sa couronne de fleurs. Doncques, ayez le cueur de vous reffuser au dict mariaige qui se moyenne, et vous iouyrez de vostre bien-aymé. Donnez-moy vostre foy de bien aymer l’Isle-Adam, qui est le plus gracieux des hommes, de ne iamais luy faire poine, et luy dire de vous descouvrir tous les secrets d’amour inventez par madame Impéria, veu que, en les praticquant, vous ieune, il vous sera facile d’oblitérer la remembrance d’icelle en son esperit.

La damoiselle de Montmorency cheut en ung tel estonnement, que elle ne sceut faire aulcune response, et laissa ceste royne de beaultez s’esloingner, et la print pour une phée, iusques à ce que ung manouvrier luy dit que ceste phée estoyt madame de l’Isle-Adam. Encores que ceste adventure feust inexplicable, ceste damoiselle de Montmorency dit à son père que elle ne respondroyt sur l’alliance prouposée qu’après l’automne, tant il est de la nature de l’Amour de se marier à l’Espérance, maulgré les absurdes happelourdes que luy baille à gobber comme gasteaux de miel ceste fallacieuse et gracieuse compaigne. Durant le mois où se cueillent les vignes, madame Impéria ne voulut point que l’Isle-Adam la laissast et usa de ses plus flambantes ioyes, en telle sorte que vous eussiez cuydé que elle le vouloyt ruyner, veu que, à part luy, l’Isle-Adam crut que il avoyt affaire à une femme neufve par chaque nuictée. Au resveigler, la bonne femme le requestoyt de guarder mémoire de ceste amour faicte en toute perfection. Puis, pour sçavoir le vrai du cueur de son amy, luy disoyt : « Paouvre l’Isle-Adam, nous ne avons pas faict saige de marier ung iouvencel comme toy, qui prenoyst vingt-trois ans, avecques une vieille qui couroyt sus à quarante. » Luy