Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/148

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Jacques Bricheteau adressait à ce dernier la relation qui suit :

« Cher ami, je reçus hier un mot de M. Saint-Estève ; il m’engageait à me trouver, le lendemain, à trois heures précises de l’après-midi, rue de la Bienfaisance, quartier dit de la Petite-Pologne, chez madame la comtesse de Werchauffen, où il se rendrait de son côté. Vos affaires, qui, selon toute apparence, allaient prendre une face nouvelle, devaient être l’objet de la réunion.

» Exact au rendez-vous, je trouvai une petite maison coquette, des valets de très bonne tenue, et fus introduit dans un salon où déjà attendait M. Saint-Estève.

» — J’espère que nous allons rire, me dit-il et prendre enfin notre revanche, regardez ; écoutez ; ne vous étonnez de rien ; avec des ennemis comme ceux auxquels nous avions affaire, tout ce qui pourra vous paraître étrange, était impérieusement commandé, et vous verrez en fin de cause, qu’il n’y a pas de luxe dans notre vengeance.

» Un peu après, la porte du salon s’ouvrit, et une femme âgée, d’une figure assez repoussante, fut amenée par un domestique qui la soutenait sous les bras pendant qu’elle-même s’aidait d’une canne à béquille.

» Quand elle eut été installée dans un vaste fauteuil :

» — Monsieur Bricheteau ! ma vieille, dit M. Saint-Estève en me présentant.

» — Enchantée de faire sa connaissance, répondit la vieille femme ; c’est un cœur comme on en voit peu. Mais, dis donc, ajouta-t-elle, il est trois heures un quart, et Rastignac me fait l’effet de manquer au rendez-vous ?

» — Ah ! ma chère, à un homme aussi occupé on peut donner le quart d’heure de grâce ; tiens, voilà le brouillon du billet qu’il a reçu de toi, et que, comme tu penses, j’ai bien médité. Vois un peu si, après ce poulet, il peut t’être cruel ?

» En disant cela, M. Saint-Estève tirait de sa poche un papier, et nous lut approchant ceci :

« La comtesse douairière de Werchauffen, qui a en dépôt chez le baron de Nucingen la somme de six cent mille livres, aurait à entretenir monsieur le comte de Rastignac de plusieurs choses importantes concernant le nommé Sallenauve, qu’elle a eu l’occasion de ren-