Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sance à l’épreuve. Tout bien considéré, l’homme qui nous gênait n’est plus sur notre chemin ; votre proposition peut donc nous convenir, à une condition toutefois : c’est que M. de Sallenauve, rentré en France, n’essaiera pas de se réintégrer dans la vie politique.

» — Non, monsieur le ministre, je n’accepte pas de conditions. M. de Sallenauve sera replacé dans la plénitude entière de son droit et de sa liberté, ou les hostilités commencées continuent.

» — Mais alors vous voulez le perdre ; car il est possible aussi que nous nous entêtions.

» — Vous ne vous entêterez pas, car il y a en cause autre chose, messieurs, que vos deux têtes de maris. C’est moi, si je le veux, qui peux vous fermer la carrière politique. Imaginez que demain je donne ma démission et que j’aille conter à un journal l’honnête subtilité dont vous m’avez chargé, pensez-vous que ma révélation n’aurait pas dans la presse de l’opposition un écho immense ? Il y a mieux que cela, je suis en passe ainsi de devenir un héros pour elle et de me faire amnistier de tout mon passé.

» — Il a parbleu raison, dit M. de Rastignac, en s’adressant à M. de Trailles, avec ces misérables journalistes tout est possible. Eh bien ! voyons, quel est votre avis ?

» — Je laisse, répondit M. de Trailles, la solution à votre prudence.

» — Ah ! à propos, monsieur de Trailles, dit Saint-Estève, j’oubliais de vous faire remarquer, car il faut jouer franc jeu, que pas plus les lettres de madame de Trailles que celles de madame de Rastignac, ne constatent le fait accompli. Vos deux cas, messieurs, ne sont encore qu’en floraison ; le fruit n’a pas été cueilli, et j’appelle sur ce point votre attention : pour des débats financiers avec une femme séparée de biens, ce sont d’assez bonnes armes que je remettrai dans vos mains.

» — Allons, décidément, monsieur Saint-Estève, dit le ministre, vous êtes un homme d’esprit, vous nous laissez pour négocier, un peu d’air et d’espace, et finirez pas nous permettre de croire que nous ne subissons pas la désagréable loi de la nécessité.