Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/184

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En effet, tout avait tourné selon les vœux de madame Beauvisage, que la nomination de M. de Trailles au siège d’Arcis avait mise enfin en possession de ce salon politique, si longtemps rêvé par elle.

On imagine bien que l’importance de la position parlementaire prise par Philéas n’avait pas dû donner la solution de ce problème. Véritable machine à voter, Beauvisage n’avait pas même su se garder le mérite de fonctionner machinalement et régulièrement. Durant la première année de sa députation, nommé par l’influence du gouvernement, ce sot ne s’était pas tout d’abord décidé à faire acte d’ingratitude, et il avait hurlé avec la phalange ministérielle sans penser à mettre de son crû dans ses votes.

Mais, plus tard, il avait éprouvé une rechute de ses opinions centre-gauche, qui étaient celles, on s’en souvient, sous lesquelles il avait fait ses premières armes électorales. Bien des raisons l’avaient ramené à cet ancien gîte.

D’abord, une sourde mésintelligence qui de tout temps avait régné entre lui et son gendre, et que les airs rogues de M. de Trailles avaient fait éclater lorsqu’il avait nettement manifesté le dessein d’imprimer à Beauvisage une direction politique.

Ensuite, nous l’avons dit quelques lignes plus haut et ailleurs, Beauvisage était un sot, c’est-à-dire une bête importante. Auprès de cette nature d’esprit, les grands mots vides d’idées ont leur fortune toute faite, et au sein du parti conservateur une petite Église s’étant formée sous l’invocation de Saint-Progrès, l’un des vocables les plus creux et les plus sonores qu’il soit possible d’imaginer, aussitôt Philéas avait eu l’instinct de s’y affilier, et l’avocat Victorin Hulot, l’un des grands-prêtres de cette religion, était devenu son oracle.

Il faut aussi le remarquer, Crevel, qui lui prêchait sous toutes les formes la doctrine de l’émancipation conjugale, avait également contribué à le déranger politiquement.

L’ancien parfumeur ne pardonnait ni à madame Beauvisage, ni à M. de Trailles la manière plus que légère dont on se souvient qu’un soir ils avaient parlé de ses services dans la garde nationale. L’amour-propre blessé