Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/191

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lui échapper des mains. Faire intervenir des questions d’intérêt dans la situation donnée, exiger en quelque sorte le prix comptant de sa clémence, il y avait là quelque chose de bas et d’ignoble, et au milieu des mortels embarras dans lesquels s’était usée sa vie, ce condottiere s’était toujours ménagé une certaine hauteur relative dont il avait la conscience qu’une demande d’argent l’aurait dans le moment descendu.

Mais pour un homme de sa force, il y a toujours le moyen de se raccrocher. Il vit que, sous peine de perdre l’occasion, il fallait faire jouer les grandes cascades, et, huit jours après la scène de l’amnistie donnée à Cécile, M. le comte Maxime de Trailles, qui à cette époque n’était pas encore député et inviolable, écrivait de la maison de Clichy qu’il avait été arrêté dans la matinée pour une misérable somme de mille louis.

Madame de Trailles, aussitôt, de courir pour acquitter la dette et faire mettre en liberté son mari. Mais l’honnête usurier, avec lequel le prisonnier avait arrangé l’affaire de son arrestation à l’amiable, avait d’avance avisé tous les autres créanciers de mettre leur affaire en état pour un jour qu’il leur désignait, en ajoutant, dans l’aimable argot du métier, que, ce jour-là, il y aurait gras, et qu’on paierait, à bureau ouvert, au greffe de la maison de détention. Lors donc que madame de Trailles se présenta, car elle avait voulu y aller de sa personne pour acquitter la misérable somme de mille louis, il se trouva que son douloureux mari était recommandé, ce qui veut dire sur-emprisonné pour la bagatelle de deux cent onze mille francs, capital, intérêts et frais compris.

L’avoué de madame de Trailles, qui n’était pas Desroches, celui de son mari, sentit bien au fond de ce concours si prompt et si unanime de toute la phalange des créanciers, le parfum d’un épouvantable chantage conjugal, et il fit part à sa cliente de sa remarque. Mais le moyen pour une femme qui se respecte et qu’on sait en mesure de payer, d’être venue pour rendre son mari à la liberté et de faire retraite devant l’énormité de la créance ?

Le greffier fut très galant pour madame de Trailles, et bien que, pour obtenir l’élargissement du prisonnier, aux termes de la loi, elle eût dû consigner la somme,