Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

opinion. Or, pour peu seulement qu’elle ne fût pas défavorable au dénoûment désiré par nous, je tiendrais cette neutralité pour une conquête également très précieuse.

— Je m’engage, dit Bricheteau à être le rapporteur le plus exact et le plus impartial ; mais, comme tous les rapporteurs, je ne conclurai pas.

— Nous ne vous demandons pas autre chose, dit Rastignac. Dans tous les cas, je sais combien madame de l’Estorade a d’obligations à M. de Sallenauve. Entrer dans son alliance, c’est nécessairement épouser ses aversions et ses sympathies. Il me semble donc que vous pouvez voir, dans le mariage que nous avons en vue, un gage de l’oubli absolu de tout notre méchant passé avec votre ami.

À la suite de ce dernier trait, qui était une sorte de prime offerte au zèle de l’entremetteur, on se sépara, et Bricheteau s’empressa d’aller faire part à madame de l’Estorade de l’ouverture qu’il avait reçue.

De tout temps, entre la femme du ministre et celle du président de la cour des comptes, les rapports avaient été excellents. Quand commença pour madame de Rastignac le terrible souci de la Luigia, on peut se rappeler que madame de l’Estorade avait été la confidente de ses mortels déplaisirs, et qu’à cette occasion elle avait donné à la délaissée quelques conseils pleins de sagesse. Quand vint l’affaire des lettres de Franchessini, Rastignac s’était senti épouvanté du danger qui venait de passer sur sa tête, et, au lieu de faire à sa femme une querelle qui peut-être eût gravement envenimé les choses, il avait eu l’heureuse inspiration de tout confier à madame de l’Estorade et de la constituer, en quelque sorte, arbitre entre sa femme et lui. L’arbitrage avait été des plus heureux, et c’était dans leur reconnaissance affectueuse pour l’habile conciliatrice que les époux, tendrement revenus l’un à l’autre, avaient puisé l’idée de ce mariage dont Bricheteau venait d’être entretenu.

Lors donc que celui-ci fit part à la comtesse du dessein où étaient les Rastignac de lui demander pour Félix de Restaud la main de sa fille, il trouva une femme bien disposée, et comme, du côté des avantages matériels, ce mariage se présentait incontestablement sous un très bon aspect, la proposition en fut reçue, sinon avec un