Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/209

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brûlant des tropiques, le corps de la défunte, qui avait succombé sous l’action d’un venin violent, allait rapidement tomber en proie à une épouvantable dissolution ; alors il eut l’idée de faire élever un bûcher et d’y consumer par le feu le cadavre, de manière à pouvoir au moins en rapporter les cendres et les ossements.

— Ah ! je comprends maintenant, dit mademoiselle Herbelot.

— À la suite d’une longue maladie, résultat de ses fatigues, M. de Sallenauve, dit le notaire, a pu enfin s’embarquer pour la France. Arrivé avant-hier à Arcis avec notre compatriote M. Jacques Bricheteau, il a aussitôt sollicité et obtenu de monseigneur l’évêque de Troyes la permission de faire dire les prières des morts sur les précieuses reliques qu’il ramène d’un autre hémisphère, et s’est entendu avec M. le curé Gimon pour la célébration du service, auquel tous les notables de la ville ont été invités.

— Et voilà l’homme auquel on a donné pour successeurs M. Beauvisage et M. Maxime de Trailles, s’écria Simon Giguet, rendant à son ancien concurrent une justice qui n’était peut-être pas tout à fait désintéressée.

— Ah ça ! à propos des Beauvisage, dit mademoiselle Mollot, il paraît qu’ils mènent grand train leur fortune !

Nous coupons court ici au compte-rendu de la réunion Simon Giguet, le lecteur n’ayant sans doute aucune curiosité de suivre la greffière dans la large voie qu’elle venait d’ouvrir par le chapitre Beauvisage aux bavardages et médisances de petite ville.

Le lendemain eut lieu la cérémonie annoncée. Sous un riche baldaquin couronnant un catafalque en velours noir et argent avait été déposée l’urne qui avait tant inquiété mademoiselle Herbelot. Jacques Bricheteau eut le courage de toucher l’orgue, et chez tous les assistants, il excita une émotion profonde en leur racontant, dans une sorte de poème musical que sa douleur sut obtenir de son génie, l’histoire de ses longues et patientes amours, à laquelle la mort était venue dérober leur dénoûment.

Après l’absoute, M. de Sallenauve, ne voulant laisser ce soin à personne, prit dans ses mains, à la manière antique, le marbre qui renfermait les restes de sa mère.