Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/226

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cette combinaison aventureuse ? demanda Sallenauve.

— Madame de l’Estorade, répondit en riant l’organiste, trouve que je suis un homme de génie, et c’est aussi l’opinion de madame de Camps qui déjà a été consultée.

— Il est certain, dit Sallenauve, qu’il y a dans votre combinaison une grande finesse d’observation, et l’on doit s’étonner qu’ayant si peu pratiqué l’astronomie féminine, vous soyez arrivé à si bien calculer les mouvements de ces capricieuses planètes.

— C’est que peut-être les femmes, repartit Bricheteau, sont comme les tableaux qui se voient mieux à distance.

— Eh bien ! mon cher, puisque vous les jugez si bien, que pensez-vous au juste, des sentiments de madame de l’Estorade pour son complice dans ce nouveau sauvetage qu’il s’agit pour moi d’entreprendre au profit de Naïs ?

— Vous savez bien que l’éternelle prétention de madame de l’Estorade est une parfaite insensibilité ; c’est donc pour elle un coup de fortune que de paraître obligée de vous accepter, mais je puis vous affirmer de sa part une résignation si parfaite, que, sans le sombre entourage au milieu du quel elle a dû se montrer, on aurait parfaitement pu la prendre pour de la joie.

— Moi de mon côté, dit Sallenauve, je n’ai aucune répugnance à l’arrangement dont vous vous êtes ingénié, et, au milieu des mouvements mal définis de mon cœur, il s’en est quelquefois trouvé d’assez tendres pour la femme qui, en ce moment, m’est jusqu’à un certain point imposée. D’ailleurs, je vous l’ai dit souvent : une sorte de fatalité a toujours semblé nous attirer l’un vers l’autre, et j’ai trop été le jouet de cette force inconnue qu’on appelle la destinée, pour mettre en doute son existence. Mais j’ai vis-à-vis de madame de l’Estorade un devoir d’honneur à remplir : il faut qu’elle sache le fumier sur lequel je suis venu.

— Je n’y vois pas grand inconvénient, répliqua l’organiste ; selon toute apparence elle vous répondra que c’est du terreau qu’elles ont à leur pied, que sortent les plus splendides fleurs de nos jardins ; seulement, dans sa prompte résignation je ne vois pas comme dans celle qu’aurait eue Naïs, d’inquiétantes conséquences pour l’avenir. Ce ne sera pas une folle enfant entraînée, si l’on