Page:Balzac - La Famille Beauvisage.djvu/263

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— Chez madame de l’Estorade, dit Sallenauve à son valet de pied.

Madame de l’Estorade, qui vivait assez retirée, n’avait pas vu d’officieux venus pour l’aviser de ce duel, qui dès la veille pourtant était le bruit de tout Paris.

Elle n’eut donc pas l’élan de tendresse que l’on montre à un ami quand on le sait échappé à un grand péril. Elle parut au contraire triste et contrainte.

— Il y a bien longtemps qu’on ne vous a vu, monsieur, dit-elle, auriez-vous été indisposé ?

— Non, répondit Sallenauve, j’ai été retenu par des affaires graves, lesquelles ont abouti pour moi-même à une résolution pénible : je viens, madame, vous rendre votre parole.

Les femmes sont toujours femmes :

— J’allais, monsieur, vous redemander la mienne, répondit la comtesse avec une vivacité qui témoignait du déplaisir qu’elle éprouvait à avoir été prévenue.

M. Armand est-il là ? demanda Sallenauve.

— Je le crois dans sa chambre avec un de ses amis.

— Me montrerais-je indiscret en vous priant de le faire venir ?

Le ton un peu solennel dont fut faite cette question donnant à penser à madame de l’Estorade :

— Armand, dit-elle, serait-il pour quelque chose dans la résolution que vous m’annoncez ?

— Sans doute, répondit Bricheteau ; vous ne savez donc pas la belle équipée qu’il est venu faire à Ville-d’Avray ?

— Mais, sans aucun doute, je l’ignore, repartit la comtesse. S’il a commis quelque faute grave, il est bien naturel qu’il ne soit pas venu me la confier. Dans tous les cas, ce n’est dans aucune de ses démarches que j’ai pris le courage de la détermination qui cadre si bien avec celle de monsieur.

— Mais la cause de ce changement, demanda Sallenauve, ne peut-on la savoir de votre côté ?

— Le courage de Naïs, répondit madame de l’Estorade, n’était qu’en surface. N’ayant pas trouvé tout d’abord à s’engager ainsi qu’elle l’avait pensé, elle a encore été influencée par une inconvenante confidence de mon père. L’autre jour, avec cette légèreté et cette crudité de paroles