therine Goussard, la seule femme peut-être que vous ayez aimée.
— C’est vrai, c’était un ange de douceur et de résignation ; on peut bien dire que par celle-là j’étais aimé pour moi-même.
— Son Jules ! dit Bricheteau, c’était sa vie.
— Ah ça ! vous êtes donc plus que moi, chef de la police, pour savoir des choses qui ne se sont passées qu’entre cette fille et moi, à moins pourtant que vous ne fussiez en tiers ; ce qui n’aurait rien d’impossible, car la petite a mal fini.
— Oui : elle est morte dans un lieu infâme.
— Où le désespoir l’avait jetée, poursuivit Vautrin.
— Où la force l’avait conduite, reprit Jacques Bricheteau, expressément de votre part, où elle fut retenue par la violence et dont elle ne put sortir que par la mort qu’elle se donna elle-même pour que son fils n’eût pas une mère flétrie.
— Mais ce sacrifice fut inutile, l’enfant a disparu et probablement n’a pas vécu.
— Vous a-t-on jamais représenté son extrait mortuaire ? Pour les autres, il disparut sans qu’on ait pu savoir ce qu’il était devenu. À vous, il fut donné tantôt comme enlevé par des saltimbanques, tantôt comme mort pendant les années de votre exil.
— Mais enfin, savez-vous s’il existe ? demanda Vautrin, avec une émotion qu’on peut se représenter, si l’on veut bien se rappeler les prodigieux instincts de paternité qui apparurent dans cet homme lors de la mort de Lucien de Rubempré, un fils, comme il l’appelait, qu’il s’était donné à l’encontre des lois de la nature et sans qu’à beaucoup près il fût pour quelque chose dans le fait de sa naissance.
— Il a vécu et je sais où il est.
— Monsieur, s’écria Saint-Estève, ce n’est pas un piège que vous me tendez ? J’ai un fils et il vit ?
— Il s’appelle Sallenauve, membre de la Chambre des Députés.
— Oh ! monsieur, dit Vautrin, dont le visage fut en un moment inondé de larmes, je l’avais deviné : deux fois