Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/158

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raconter, pour deux ou trois personnes qui ne connaissaient pas ses aventures, les circonstances bizarres à la faveur desquelles il avait échappé aux massacres de septembre et à la Terreur.

— J’ai été placé plus près que vous de la Révolution, de sorte que je crois être mieux à même de la juger, dit l’abbé de Marolles. Je suis resté pendant toute la Terreur enfermé dans un petit réduit où je me réfugiai le 3 septembre…

Après cet exorde, l’abbé raconta les détails de son arrestation et ceux de la terrible journée du 2 septembre 1792. Le récit des massacres et celui de son évasion firent moins d’impression que l’aventure mystérieuse dont les principales circonstances viennent d’être rapportées.

Quoique l’abbé de Marolles fut bien vivant et devant elles, les personnes qui composaient l’auditoire ne purent s’empêcher de frémir quand le prêtre leur peignit l’angoisse à laquelle il avait été en proie en écoutant monter, sur les minuit, l’inconnu auquel il avait si imprudemment promis de dire la messe, en janvier 1793. Les dames respiraient à peine, et tous les yeux étaient fixés sur la tête blanche du narrateur.

Une des douairières tressaillit et jeta un cri en entendant le bruit d’un pas lourd et pesant qui retentit en ce moment dans le salon voisin. Un laquais arriva jusqu’au cercle silencieux formé par la société devant l’antique cheminée.

— Que voulez-vous, Joseph ? demanda brusquement M. de M*** à son domestique.

— Il y a dans l’antichambre une personne qui désire parler à M. de Marolles, répondit-il.

Tout le monde se regarda, comme si ce message avait rapport au récit de l’abbé.

— Informe-toi du motif de sa visite, sache de quelle part il vient, dit M. de Marolles à Joseph.

Ce domestique s’en alla, mais il revint sur-le-champ.

— Monsieur, répondit-il à l’abbé, ce jeune homme m’a prié de vous dire qu’il est envoyé par celui qui vous a remis une relique en 1793…

Le prêtre tressaillit, et cette réponse excita vivement la curiosité des personnes qui savaient l’histoire de la messe mystérieuse. Chacun semblait pressentir, comme l’abbé, que le dénoûment de cette aventure était prochain.

— Comment, lui dit madame de M***, vous allez suivre, à cette heure, un inconnu ?… Au moins questionnez-le…, sachez pourquoi…

Ces observations parurent d’autant plus sages que chacun désirait voir le messager.

L’abbé fit un signe, et le laquais alla chercher l’inconnu. Les dames virent entrer un jeune homme de très-bon ton, et qui leur parut avoir de fort bonnes manières. Il était décoré de la Légion d’honneur. Toutes les inquiétudes se calmèrent.

— Monsieur, lui dit l’abbé de Marolles, puis-je savoir pour quel motif la personne qui vous envoie me fait demander à une heure aussi indue ?… Mon âge ne me permet pas…

L’abbé s’arrêta sans achever sa phrase.